Que penser du nouveau mécanisme de responsabilisation climatique des Régions ?

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L’accord institutionnel d’octobre 2011 prévoit la création d’un mécanisme de responsabilisation climatique des Régions. Celui-ci a pris forme dans le cadre des négociations sur la loi spéciale de financement sur laquelle un accord est intervenu début juillet entre les 8 partis de la majorité institutionnelle. Une proposition de loi a été déposée dans la foulée à la Chambre[ [Article 66 de la proposition de loi spéciale de financement.
Proposition de loi relative au mécanisme de responsabilisation climat ]]
et doit donc encore être adoptée. Que dit-elle ?

Le mécanisme

Ce mécanisme consiste à fixer pour chaque Région une trajectoire pluriannuelle de référence pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les bâtiments des secteurs résidentiel et tertiaire, quelle que soit leur taille. Les bâtiments industriels sont exclus. Les premières trajectoires couvrent la période 2015-2020. Elles seront fixées par un Arrêté royal délibéré en Conseil des ministres après accord des Régions et sur la base d’une proposition de la Commission nationale Climat. Le législateur, prévoyant, a su tirer les leçons des lenteurs –bientôt quatre ans- de la Commission nationale Climat pour trouver un accord sur l’ effort sharing[[La répartition entre les régions et le fédéral des objectifs belges du paquet énergie-climat 2020 européen (15% réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005, 13% de renouvelables dans la consommation finale, 10% de renouvelable dans le transport, répartition des revenus de la mise aux enchères des quotas ETS) ainsi sur les financements climat internationaux.]] et a établit des trajectoires par défaut de 2015 à 2030 au cas aucun Arrêté royal n’était adopté dans les temps.

Si une Région dépasse son objectif assigné, elle reçoit un bonus financier proportionnel à l’écart à la trajectoire, qu’elle emploiera pour des politiques de réduction des gaz à effet de serre. Si elle n’atteint pas son objectif, est mis à sa charge un malus financier proportionnel à l’écart à la trajectoire, que l’État fédéral investit dans des politiques de réduction des gaz à effet de serre.

Les bonus et malus sont financés par la part des recettes de la mise aux enchères des quotas d’émissions attribuées à l’État fédéral et aux Régions. Les montants sont calculés en multipliant les écarts exprimés en tonnes d’équivalents CO2 par le prix moyen des quotas d’émissions vendus aux enchères au cours de la même année. Afin de s’assurer qu’une part suffisante des recettes de la mise aux enchères des quotas d’émission demeure, les bonus sont limités au maximum de la part fédérale des recettes de la mise aux enchères des quotas d’émissions. Les mali de chacune des Régions sont limités à 50 % de la part qui leur est octroyée de ces mêmes recettes.

Qu’en penser ?

Même si le mécanisme ne couvre que les bâtiments (18,5% des émissions de gaz à effet de serre en 2011[Source : [http://www.climatechange.be/spip.php?article331#1 ]] ), celui-ci a le mérite de lier les Régions dans l’atteinte d’un objectif climatique, avec des conséquences financières à la clé.

Mais il aurait surtout été utile de créer un tel mécanisme de responsabilisation dans le cadre des objectifs européens. La Belgique s’est en effet engagée à réduire ses émissions de 15% en 2020 par rapport à 2005 pour les secteurs non ETS (bâtiments, transport, agriculture, déchets…). Pour ce faire, elle devra respecter des limites annuelles d’émissions qui suivent une trajectoire de réduction linéaire entre 2013 et 2020. Si malgré les flexibilités prévues au niveau européen, un Etat membre dépasse son allocation annuelle d’émission, le dépassement devra être rattraper l’année suivante, augmenté d’une pénalité de 8%. La Commission pourra également lancer une procédure d’infraction contre l’État membre concerné.

Or cet objectif ne sera pas aisé à atteindre pour la Belgique. Les émissions du transport ont explosé ses dernières années, 22, 5% des émissions totales aujourd’hui contre 14,3% en 1990, soit +30%. Les émissions du secteur tertiaire ont également bondi, +20% entre 1990 et 2011[[+ 53% par rapport à 2010, l’hiver ayant été particulièrement rude en 2010 et particulièrement doux en 2011. ]] , suite à l’augmentation du nombre d’employés, le développement des technologies de l’information et l’utilisation accrue de zones réfrigérées et de la climatisation (4,3% des émissions en 2011). Il n’est donc pas impossible que la Belgique dépasse ses allocations annuelles d’émissions.
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Source : Belgium’s greenhouse gas inventory (1990-2011), p. 52

Or les compétences en matière de climat sont partagées entre les Régions et le fédéral. Qui devra alors prendre à sa charge la pénalité de 8%? Si une Région n’atteint pas son objectif mais qu’une autre Région le dépasse de sorte que la Belgique dans son ensemble respecte son allocation d’émissions, comment valoriser l’effort supplémentaire de la Région qui a fait mieux que prévu? C’est ce genre de questions qu’il aurait fallu régler en priorité. Le problème est déjà suffisamment complexe pour ne pas en rajouter une couche avec de nouveaux objectifs et mécanismes.
Par ailleurs, les trajectoires par défaut sont beaucoup trop peu ambitieuses : -2,1% entre 2015 et 2020 pour les émissions des bâtiments en Wallonie. Pour atteindre -80 à -95% d’émissions en 2050, comme le recommande le GIEC, les émissions devraient décroître de 2,3% à 2,7% chaque année à partir de 2015. Certes, les réductions s’intensifient après 2020 pour atteindre -19,4% en 2030 par rapport à 2015 mais cela reste insuffisant et beaucoup de choses peuvent aussi se passer d’ici là.
Espérons que les trajectoires par défaut soient renforcées avant l’adoption définitive du mécanisme ou que, pour une fois, la Commission nationale Climat proposera dans les temps de nouvelles trajectoires plus ambitieuses, afin de ne pas ajouter une nouvelle couche de complexité dans la lasagne institutionnelle belge… pour rien !

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie