Progrès, sciences, technologies: la marchandisation a tué la faculté d’objection

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Dans le cadre du cycle de conférences « croissance, consommation, progrès et après ? » nous avons eu le plaisir d’inviter Isabelle Stengers, philosophe et Paul Lannoye, ancien député européen écolo et administrateur du GRAPPE, Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique. Bref résumé.

Le progrès, une amélioration ? pour qui ? pour quoi ? Au nom de qui ? La science est-elle capitaliste ? Quels critères appliquer ? Autant de questions posées en introduction de cette conférence par Marc Lacroix.

Des décideurs qui ont toujours la foi dans le progrès technologique

Depuis les années après guerre, le progrès suscite auprès de nos décideurs une véritable foi, au sens religieux du terme. On a foi dans le progrès, dans la technologie, comme on a foi dans la croissance économique infinie. Des pesticides, en passant par le nucléaire propre et bon marché, les biotechnologies et les OGM, les télécommunications et aujourd’hui les nanotechnologies aux potentiels « miraculeux », tous ces progrès allaient ou vont encore résoudre les grands maux de l’humanité : la faim dans le monde, les problèmes écologiques, les inégalités sociales, … En réalité, et c’est là que le bât blesse, les technologies sont utilisées non pas pour le mieux être mais pour assouvir les besoins, pour la plupart futiles, suscités et encouragés par les messages publicitaires destinés à alimenter la logique de croissance elle-même, d’une croissance économique, d’une économie de marché.

Le progrès : un concept qui sonne creux aujourd’hui

Et pourtant comme le souligne Isabelle Stengers, les citoyens ne sont plus dupes : les années ’80, avec la mise en évidence de la société du risque, ont sonné le glas du mot d’ordre « progrès » si cher aux années 70 . Ce fameux progrès n’a pas atteint ses objectifs bien au contraire. Le réchauffement climatique et ses conséquences se font de plus en plus pressants, les pauvres sont de plus en plus pauvres…

Peut-on réellement encore faire confiance aux sciences et aux scientifiques ?

La possibilité de breveter pour les universités américaines dans les années 80 a contribué à la marchandisation de la connaissance. Aujourd’hui, dans une économie de marché, la recherche académique doit être rentable, applicable, brevetable, elle doit répondre aux besoins des industriels pour être subventionnées. A part peut-être dans quelques rares facultés de sciences humaines comme la philologie, la recherche fondamentale n’existe plus. Cette soumission aux subventions et aux industries font que la dynamique d’objection est ralentie et court le risque de disparaître. Comment être sûr que tel OGM est néfaste pour la santé sachant que la majorité des recherches sur les OGM sont financés par des …producteurs d’OGM ? Non, dit Isabelle Stengers, aujourd’hui, en l’état actuel des choses, on ne peut plus faire confiance aux sciences.

Réveiller les « somnambules » : scientifiques et politiques

La question n’est pas tant de nier ou de rejeter en bloc le progrès, les sciences et les techniques mais plutôt de leur redonner du sens, faire en sorte qu’ils répondent à des besoins réels. Il est nécessaire de mettre les progrès scientifiques et technologiques en débat, le plus en amont possible avec des experts, des contre-experts, des jurys de citoyens habilités à donner leur avis. Les scientifiques universitaires « somnambules » -comme les qualifie élégamment Isabelle Stengers- ont urgemment besoin d’être réveillés, de réveiller leur esprit critique pour le bien de tous. Il est urgent de redonner une place à l’objection.

Objections citoyennes, apprendre la lenteur

Pour redonner du sens au progrès et aux sciences, Isabelle Stengers croit davantage aux résistances citoyennes qu’aux politiques, trop braquées sur le court terme pour amorcer le changement. Les mouvements slow (slow food, slow city, …) sont une bonne approche du progrès. La vitesse anesthésie alors que la lenteur donne du corps, donne accès à d’autres dimensions, plus subtiles.
Qu’on se le dise!