Mesures agro-environnementales : il y a péril en la demeure !

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Principal outil de la politique environnementale en agriculture, le panel de mesures agro-environnementales wallon est à la fois très complet et adapté aux enjeux environnementaux. Outre la rémunération des services écosystémiques telle la gestion de la biodiversité et des paysages, ce régime a facilité l’intégration de certaines pratiques agricoles (couverture intercalaire piège à nitrate) devenue la norme, et contribue toujours à l’évolution des pratiques (tournières, autonomie fourragère, …). C’est un outil essentiel de la politique agricole wallonne offrant aux agriculteurs une rémunération pour la production de biodiversité et des moyens de soutenir l’évolution des pratiques vers une agriculture écologiquement intensive voulue par le Code wallon de l’agriculture.

Pour assurer cette adéquation, les mesures font l’objet depuis plus de 20 ans d’un suivi scientifique permettant un ajustement régulier des cahiers des charges et leur révision au regard des objectifs environnementaux. Cette force du régime agro-environnemental wallon est aussi l’une de ses faiblesses, car il a régulièrement fait l’objet d’adaptation, parfois au détriment des principaux bénéficiaires, souvent par manque de communication ou par une communication inadéquate. La qualité du programme ne suffit pas à faire son succès, l’allocation de moyens humains conséquents en terme d’encadrement a soutenu l’adoption des mesures par les agriculteurs. Les principaux freins à l’adoption des mesures ne sont pas tellement financiers ni techniques mais plutôt liés aux besoins de vulgarisation sur les enjeux associés aux mesures proposées et à un soutien pour la gestion administrative de ces dossiers complexes. Les représentations des agriculteurs constituent un frein plus difficile à lever, surtout quand d’autres acteurs privés et même parfois publics entravent l’évolution nécessaire des mentalités.

Le dernier frein, comme l’a récemment indiqué l’étude réalisée par la SOCOPRO résulte de la gestion administrative de ces dossiers. L’encadrement mis en place graduellement a permis de lever ces freins. L’ensemble des structures d’encadrement est maintenant regroupé en une seule structure, Natagriwal.

La gestion de ce dossier a permis de rencontrer les objectifs environnementaux ambitieux : près de 60 % d’adhérents en 2012 et l’atteinte pour de nombreuses mesures des objectifs inscrits dans le PwDR 2007-2013. Contrairement à la précédente programmation, le Programme wallon de Développement Rural 2014-2020 vise davantage à consolider les acquis du précédent programme. À cet effet, il a bénéficié de la requalification d’une mesure agro-environnementale particulièrement budgétivore en « bonne pratique agricole », permettant ainsi de réaffecter les moyens entre les mesures au niveau de leur adoption en fin de précédent programme.

Absence d’indicateurs actualisés de mise en œuvre du programme

Nous sommes actuellement à mi-parcours du PwDR 2014-2020 et il est donc opportun de faire une évaluation du succès rencontré par le nouveau programme. Étonnement, les seules données disponibles sur l’adhésion au programme datent de 2014, soit la précédente programmation. Les données 2015 seront établies dans le rapport 2016 du PwDR 2014-2020 qui doit être réalisé pour juin 2017… Natagriwal, chargée de l’encadrement de ce dispositif et le Comité de suivi du PwDR ne disposent donc pas de données relatives à l’adoption des MAE en 2015 et l’administration compétente ne semble pas produire de données actualisées sur l’adhésion à ce programme.

Une baisse catastrophique de l’adhésion au programme !

Une question parlementaire permet cependant d’y voir un peu plus clair. Les données disponibles se basent sur les paiements réalisés. Or ceux-ci sont réalisés en année N+1, ce qui signifie que les aides versées en 2016 correspondent aux mesures mises en œuvre du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015. En octobre 2016, toutes les demandes pour l’année 2015 n’étaient pas encore traitées et l’enveloppe globale des paiements MAE est estimée à 13,5 millions d’Euros soit 60 % de la consommation moyenne prévue dans le PwDR ! Sur base des montants déjà affectés aux différentes mesures, soit 11,08 millions sur les 13,5, seules les prairies à hautes valeur biologique progressent par rapport à 2012, toutes les autres mesures du PwDR régressent fortement. En l’absence de chiffre définitif, il n’est pas possible de conclure précisément mais les ordres de grandeur sont considérables : une perte de 50 % des surfaces en prairies naturelles, de 35 % pour l’autonomie protéique (ex faible charge en bétail), de 20 % pour les bandes aménagées et de 40 % pour les bandes enherbées. La baisse est de 70 % pour les éléments du paysage (haies, arbres, mares), à relativiser puisque l’essentiel des budgets non encore attribués devraient être affectés à cette mesure.

Un autre chiffre est particulièrement inquiétant puisque le Ministre affirme « Le nombre de demandeurs, pour au moins une méthode agro-environnementale et climatique, pour le paiement 2016 est de 3761. » En 2012, le nombre de demandeurs était de 8.773 ! Une telle chute ne peut s’expliquer par le seul effet du moratoire relatif à certaines mesures en 2013 et 2014, dont les effets restaient « raisonnables » au regard du rapport de suivi du PwDR ([[Programme wallon de Développement rural Rapport annuel d’exécution 2015, Partie II]]. « Ces dépenses sont toutefois sensiblement inférieures aux années précédentes en raison des effets des moratoires sur les nouveaux engagements appliqués en 2013 et 2014. »

À la suite d’une autre question parlementaire, le Ministre a apporté quelques éléments d’appréciation quant à l’atteinte des objectifs du PwDR, manifestement sans apporter d’élément objectif ou quantifiable. Le recul de certaines mesures agro-environnementales pourrait s’expliquer par les interactions entre le régime des MAE et les obligations relatives au verdissement en terme de surface d’intérêt écologique (SIE). Pourtant, les données disponibles sur l’interaction entre ces mesures ne permettent de conclure à un impact important. Les éléments topographiques et les tournières n’ayant été déclarées en SIE que dans respectivement 7,8 et 4,5% des déclarations des agriculteurs devant se conformer au verdissement en 2015.

Une charge administrative lourde, qui freine l’adoption

L’un des freins relatif à l’adoption des MAE est la charge administrative. L’encadrement a pu pallier à cette charge mais depuis peu celui-ci est cantonné à un rôle d’expertise pour produire des avis sur les mesures et de vulgarisation pour les mesures de base du programme. De plus, l’administration a introduit en 2014 un formulaire de pré-demande, formulaire que les agriculteurs doivent remplir en plus de leur déclaration de superficie pour le 31 décembre afin de pouvoir bénéficier des mesures agro-environnementales. Les demandes sont ensuite confirmées lors de la déclaration de superficie qui suit, soit pour le 31 mars. Cette contrainte supplémentaire alourdit la charge administrative des agriculteurs. Elle se justifie probablement pour des raisons de contrôles vis-à-vis de la Commission mais peut-être eut-il été possible de justifier un enregistrement des MAE avec la déclaration de superficie par l’absence de travail en champs pendant cette période hivernale. Un nouveau frein vient d’être introduit puisque pour cette année 2017, les avis techniques pour les mesures ciblées devront être rendu avant le 1er janvier. La période hivernale ne peut donc plus être mise à profit pour les réaliser, si ce n’est pour introduire la mesure dans la déclaration de superficie de l’année qui suit !

Une gestion administrative peu propice à redorer le régime des MAE

Il y a eu également une demande aux agriculteurs adhérant au régime de rembourser des versements indus (3 mois) plutôt que de les déduire du versement qui suit. Une démarche qui, même si elle est nécessaire, ne valorise pas vraiment les MAE. Dernièrement, l’administration a modifié le référentiel pour établir les haies, arbres et mares éligibles, invitant ensuite 1850 agriculteurs à justifier les différences entre ce référentiel et leur déclaration. Il semble à ce sujet que certains éléments du référentiel étaient plus restrictifs que le cadre légal… (http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2016_2017/CRIC/cric69.pdf). Enfin, alors que les chiffres sont loin d’être bons pour les mesures agro-environnementales, la nouvelle déclaration de superficie introduit une information légitime mais malheureusement non contextualisée visant à avertir les agriculteurs de potentiels manquements.

Une adaptation du programme s’impose !

La réalisation des objectifs environnementaux du PwDR, au regard des résultats actuels, implique une révision rapide du programme, des améliorations structurelles dans la gestion administrative vis-à-vis des agriculteurs et une communication proactive pour redonner confiance au régime des MAE. Il y a urgence car les dossiers doivent être adaptés et déposés auprès de la Commission sans quoi, les adaptations auront lieu en 2019. Il est regrettable de ne pas disposer d’une information actualisée et précise et il est incompréhensible qu’une telle information ne soit pas produite pour les gestionnaires de ce dossier, à savoir l’administration elle-même, Natagriwal et le Comité de suivi du PwDR. Une telle situation pose de réelle question de gouvernance puisque les organes chargés de la mise en œuvre et du suivi n’ont pas accès à des données pourtant élémentaires et nécessaires à la réalisation de leurs missions respectives. Cette situation est d’autant plus regrettable que ce manque d’anticipation avait conduit à un moratoire lors de la précédente programmation suite au succès du programme.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité