La faillite des Bisounours

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Sans thématique
  • Temps de lecture :6 min de lecture
You are currently viewing La faillite des Bisounours

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vérité ennemie !

N’ai-je donc tant vécu que pour pareil déni ?

Et ne suis-je blanchi dans les débats d’idées

Que pour voir un jour l’évidence triompher ?

Car que lis-je et qu’entends-je ? « La suppression des primes fédérales pour les voitures « écologiques », fin 2011, ne pousse plus les Belges à acheter les voitures les moins polluantes. (…) Résultat : les émissions moyennes de CO2 ont augmenté pour la première fois depuis longtemps, passant de 123g/km en 2011 à 131g/km. »[[
Le Soir, 8 octobre 2012]] Ainsi donc, « le Belge » n’aurait pas l’âme aussi verte qu’on ne me l’a vantée ? Sa fibre environnementale ne résisterait pas à des choix sans primes ajoutées ?

A vrai dire, il s’agit plus pour moi d’une évidence que d’une révélation. N’en déplaise à leur optimisme philanthrope, les apôtres du « changement consenti » et de la transition écologique sympathique m’ont en effet toujours paru surestimer grandement la volonté citoyenne de construire un autre monde. Mais si cette information ne fait que confirmer mon pressentiment, elle n’en constitue pas moins un fameux pavé lancé dans les espoirs de celles et ceux qui prônent un changement de paradigme porté par le peuple, des réponses à la crise environnementale (et à ses sœurs siamoises économique et sociale) choisies en bas et non pas imposées d’en haut, des comportements revus et corrigés par conviction et non par obligation. Ce désintérêt pour la voiture verte non subventionnée entérine de facto la faillite d’une stratégie de Bisounours qui a peut-être sa chance au pays de Grognon, Grobisou, Grocopain, Grofarceur, Grododo et consorts mais s’avère particulièrement inadaptée à la planète des Consommateurs. Car si l’intérêt collectif en général et l’enjeu environnemental en particulier avaient le moindre impact sur les comportements d’achat, le monde n’en serait pas là où il en est aujourd’hui.

Nous savons (quasiment) tous que les prix bas affichés ici se paient socialement et environnementalement cher ailleurs mais cela nous empêche rarement d’en jouir sans vergogne, non ? L’aberration que constitue une quatre façades érigée au sein d’un lotissement en cœur de campagne est dénoncée et connue de longue date mais ce modèle n’en continue pas moins de proliférer, non ? Il n’est plus nécessaire d’insister sur les nuisances multiples et le coût tant individuel que collectif de l’automobile mais celle-ci reste pourtant le moyen de transport préféré de la majorité de la population, non ? Je pourrais multiplier les exemples mais le constat me paraît suffisamment évident, non ? Dans un tel contexte, croire qu’un acheteur choisira tel modèle plutôt que tel autre parce qu’on le lui affirme (plus) respectueux de l’environnement, c’est aussi réaliste que d’attendre d’un adolescent en pleine puberté qu’il renonce à tout élan onaniste au prétexte que le pape n’aime pas ça (ou, pour éviter toute interprétation qui serait d’autant plus erronée que j’ignore tout des goûts de Monsieur Seize, « que le pape condamne cet acte »).

Invités à commenter ce désintérêt pour les voitures vertes[[Le Soir, 8 octobre 2012]], les porte-paroles de Test-Achats et de la Febiac (Fédération de l’industrie automobile et du cycle) corroborent explicitement cette analyse lorsqu’ils déclarent respectivement : « L’aspect environnemental arrive en dernier lieu pour l’achat d’une voiture. » et « Quand l’incitant fiscal disparaît, le consommateur belge achète différemment et veille plutôt à son confort. » C’est clair, net, sans bavure et ramène définitivement les pieds sur Terre les derniers thuriféraires de la conscientisation des masses.

Ceci étant acté, il convient de s’interroger sur l’existence même de ces incitants fiscaux aux changements de comportements. Est-il normal et moral de dépenser les deniers publics pour favoriser des choix vertueux ? Ne serait-il pas préférable et rentable que les autorités compétentes utilisent leur pouvoir d’injonction plutôt que leur capacité de distribution ? Autrement et brutalement dit, vaut-il mieux inciter financièrement à acheter une voiture « propre » ou interdire légalement les voitures sales ? Pour mon bon sens un brin borné d’Ardennais, l’évidence est aveuglante… Et elle déborde largement de ce cadre. Est-il ainsi acceptable que l’argent de la communauté subsidie grassement l’installation de panneaux photovoltaïques sur une habitation dont les propriétaires roulent en 4X4, se prélassent dans une piscine chauffée et se préoccupent autant de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre que de celle du Minimex (et cet exemple n’est même pas un caricatural) ? Là encore, poser la question, me semble y répondre.

Pour aller plus loin encore : si la question énergétique est bel et bien un enjeu majeur, si nous n’aurons plus de pétrole, ne voulons plus de nucléaire et ne pourrons plus recourir au charbon, est-il raisonnable s’obstiner à mettre des bâtons dans les pales des éoliennes au nom d’une ô combien subjective intégrité paysagère ou de nuisances sonores rien plus qu’insignifiantes ?

On cherche vainement la cohérence de ce traitement politique d’une question que le Secrétaire général des Nations Unies n’a pas hésité à comparer à une « guerre » et à qualifier de « plus grand défi auquel l’humanité aie dû faire face ». C’est que pour ne pas déranger, ne pas choquer, ne pas brusquer la population face à une menace dont elle peine à mesurer l’ampleur et les conséquences potentielles, les décideurs d’ici comme d’ailleurs s’enferment dans une stratégie d’évitement, ajoutant les initiatives les unes aux autres sans logique ni efficacité. Par crainte d’appuyer là où ça pourrait faire mal, ils refusent d’empoigner le problème à bras le corps ; sous prétexte de démocratie, ils s’empêchent d’administrer à la société les remèdes dont ils savent pourtant qu’elle a besoin.

Nier la réalité ne la change toutefois pas : l’urgence est telle qu’il n’y a plus d’alternative et certainement pas de parier notre avenir sur une illusoire prise de conscience collective. Il faut agir, vite et fort. Cela ne sera pas facile. Pas sûr qu’il ne soit pas déjà trop tard. Mais au pire, nous aurons l’honneur d’avoir essayé.

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, n’oubliez pas : « On ne pile pas le mil avec une banane mûre. » (Proverbe africain)