La démocratie à l’épreuve des effondrements multiples

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Ce vendredi 20 janvier, Donald Trump deviendra le 45ème président des Etats-Unis. Dans nos pires cauchemars, nous ne pouvions imaginer un tel scénario. La plus grande démocratie du monde va devoir composer avec un président aux tendances sexistes, racistes, autoritaires, climato-négationnistes, on en passe. Un type inquiétant pour la planète que l’on aurait aimé cantonner à ses tours carrées. Mais il a gagné le bureau ovale. Quelques prophètes éclairés, comme Michael Moore, avaient bien tenté de crier au loup. On ne voulait pas y croire, pensant que le monstre allait rester dans la caverne.
Cette réalité est-elle advenue parce qu’une tendance biologique nous engage à mieux comprendre et accepter les bonnes nouvelles que les mauvaises nouvelles[[http://www.wired.co.uk/article/optimism-bias]] ? Voilà une question peu banale au cœur de notre « nIEWs 200 spéciale effondrement ». Les différents auteurs convoqués par Inter-Environnement Wallonie à la table de la science dite de l’effondrement posent des constats sans détour quant à notre capacité, ou non, à prendre la mesure et à agir en conséquence face aux périls environnementaux.

Sortir du déni, accepter l’irréversibilité (à moyen terme) des changements climatiques – non, nous ne pourrons pas limiter l’augmentation des températures à 1,5° comme le préconise l’accord de Paris – et faire preuve de la plus grande lucidité quant aux mesures à prendre pour limiter la casse : voilà autant de balises posées en arrière-plan de nos responsabilités collectives et individuelles qui pourraient s’appuyer sur la maxime de Gramsci : « Je suis pessimiste par l’intelligence et optimiste par la volonté ».

Au devoir de lucidité s’impose un devoir de créativité, comme le souligne Clément Fournier, rédacteur en chef de RSE-net. « Nous faisons des changements à la marge car nous ne pensons pas qu’il est possible de vivre (et de bien-vivre) sans le confort que nous a apporté le pétrole et ses avatars. C’est pourtant là qu’il faut être optimiste : c’est un changement difficile, qui nécessitera des efforts radicaux et une refonte globale de notre système économique et social ».

La nouvelle étude « Noir, jaune, blues », commandée par la « Fondation ceci n’est pas une crise », démontre à quel point l’effondrement n’est pas limité à la question environnementale, mais à la perception partagée que notre système démocratique ne peut plus répondre aux enjeux de notre époque[[http://www.cecinestpasunecrise.org/noir-jaune-blues-2017-1ers-resultats/]]. « Nous basculons d’un monde vers autre chose, explique le sociologue Benoit Scheuer. La mutation sociétale en cours comporte des risques et des dangers importants. Nous quittons des sociétés qui étaient extrêmement intégrées et nous allons vers des paysages extrêmement fragmentés, atomisés. En 20 ans, le taux de confiance à l’égard des institutions s’est progressivement effrité, et aujourd’hui est totalement effondré… »[[https://www.rtbf.be/info/societe/detail_noir-jaune-blues-en-20-ans-la-confiance-envers-les-institutions-s-est-totalement-effondree?id=9497705]]

Un exemple : les décideurs politiques européens étaient crédités de 42 % de taux de confiance en 1997 ; ils recueillent à peine 9 % en 2017. Les ONG, qui caracolaient en tête il y a vingt ans, ne sont pas ménagées non plus. Elles demeurent les mieux côtés avec à peine 51 % contre 88 % en 1997 ! Les partis politiques, vivier de notre démocratie représentative, ne recueillent plus que 9 % de confiance. Discréditer ou atténuer ces résultats, fruits d’une étude approfondie menée depuis deux ans, consisterait à casser le thermomètre pour éviter de soigner le malade. Et la fièvre populiste qui réclame en majorité d’installer un « pouvoir fort » face à la menace du terroriste et islamiste, n’est pas le symptôme le moins inquiétant d’une époque aux nombreuses similitudes avec les années trente. « Il n’y a pas de Le Pen, de Wilder ou d’Orban en Belgique francophone, constate Benoît Scheuer. Mais nous ne sommes pas à l’abri du bruit de fond de l’époque (…). On a le sentiment, aujourd’hui, qu’il y a un déclassement social de génération en génération, que les innovations technologiques ne conduisent pas in fine à un progrès social. Le ressenti dominant, c’est que la société n’existe quasiment plus, les individus ressentent que l’on bascule dans quelque chose qui est inconnu, donc forcément anxiogène. Et la survenance des attentats a accentué ce sentiment que l’on bascule vers l’inconnu. »

Il n’y aura pas de réponse simple et immédiate face aux enjeux des effondrements multiples auxquels nous faisons face. Mais, au bord de la falaise démocratique, il est capital pour nos institutions et les acteurs de la société civile de modifier leur agenda. N’est-il pas temps pour nos gouvernements et parlement de prendre l’initiative et d’ouvrir un dialogue en vue d’élaborer et de formuler de nouvelles propositions de transformation en profondeur de nos institutions qui tiennent compte de l’horizontalité des nouveaux modes de gouvernance et du changement de paradigme ? N’est-il pas prioritaire de redéfinir ce que signifie le vivre ensemble ? Sur cette base, il est indispensable de reconsidérer la nécessité d’une puissance publique forte – et non d’un pouvoir fort – afin de formuler des réponses au sentiment d’abandon qui domine face à une sphère financière toute puissante, à l’islamophobie qui monte en puissance ou à la croyance diffuse que la question climatique, voire de l’effondrement de la diversité biologique, se régleront par miracle.

Face aux nouvelles élections qui se profilent à l’horizon 2018 et 2019, il est peu probable, cependant, qu’un tel processus soit initié et que les changements d’échelle nécessaires dans les réponses requises seront apportées par des institutions politiques belges et européennes. « C’est une question de rapport de force et de seuil de basculement, répond à cet égard dans notre dossier Pablo Servigne (6). « Les événements parleront d’eux-mêmes. C’est-à-dire que chaque cassure, chaque catastrophe apportera un peu plus de poids à nos arguments (malheureusement) jusqu’au moment où il y aura des fissures, des craquements qui permettent vraiment de changer les choses au niveau politique. »

Retrouvez les autres articles de la nIEWs 200 spéciale « Effondrement »

Christophe Schoune

Anciennement: Secrétaire général