L’inadéquation de la réponse européenne au dieselgate

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Il y a six mois éclatait le scandale de la triche de VW en matière d’émissions d’oxydes d’azote (NOX). La fédération européenne T&E fait le point sur le dossier. En voici un résumé en traduction librement adaptée. L’information récente selon laquelle VW n’a pas réussi à respecter un nouveau délai fixé par l’administration américaine pour la mise aux normes d’environ 600.000 véhicules diesel équipés avec un « dispositif d’invalidation »[« Defeat device » en anglais : dispositif qui optimise les équipements de dépollution pour répondre aux normes lors des tests en laboratoire et les fait fonctionner de manière sous-optimale (donc, en polluant plus que ce qui est légalement admis) sur route.]] ne constitue pas vraiment une surprise. Le constructeur n’a, de manière répétée, pas pu respecter les deadlines et s’est révélé incapable d’apporter des explications satisfaisantes depuis que l’administration américaine (EPA – Environmental Protection Agency) a révélé sa [triche en septembre 2015.

Le fait est que VW ne parvient tout simplement pas adapter ses moteurs 2.0 litres diesel – actuellement équipés de la technique de dépollution Lean NOX Trap (LNT) – pour répondre aux normes d’émissions de l’EPA. La seule manière d’y arriver consisterait à remplacer les LNT par l’autre technologie de dépollution, plus coûteuse, plus complexe et plus efficace, connue sous l’acronyme SCR (pour Selective Catalytic Reduction). Celle-ci utilise un agent réactif (l’urée) et transforme les oxydes d’azote en azote et en eau. VW aurait, en toute logique, dû choisir d’équiper tous ses modèles vendus aux USA avec la technologie SCR. Mais l’appât du gain et l’ambition de devenir le premier constructeur mondial ont dicté les priorités : diminuer les coûts de production et accroître les ventes à tout prix.

Contraste frappant avec les Etats-Unis, où les autorités forcent VW à se conformer à la loi : en Europe, les politiques se comportent comme si le scandale VW ne s’était jamais produit. Se référant aux échappatoires de la législation européenne, le constructeur déclare maintenant, sans gêne aucune, qu’il n’a jamais enfreint la loi et qu’il n’a rien installé d’illégal dans les 8,5 millions de voitures européennes concernées.

La définition des dispositifs d’invalidation[[Selon le règlement (CE) n° 715/2007, article 3 (10) : « dispositif d’invalidation » signifie tout élément de conception qui détecte la température, la vitesse du véhicule, le régime du moteur en tours/minute, la transmission, une dépression ou tout autre paramètre aux fins d’activer, de moduler, de retarder ou de désactiver le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, qui réduit l’efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu’elles se produisent lors du fonctionnement et de l’utilisation normaux des véhicules.]] est à peu près la même en Europe et aux USA et ils y sont pareillement interdits excepté dans certaines circonstances bien définies telles les raisons de sécurité ou de protection des moteurs[[Règlement (CE) n° 715/2007, article 5 §2]]. Cependant, l’Europe – contrairement aux Etats-Unis – n’a prévu absolument aucune disposition visant à (1) obliger les constructeurs à déclarer et justifier l’utilisation de ces cas d’exemption et (2) conférer aux autorités la tâche de vérifier ces déclarations. Résultat : en Europe, les constructeurs abusent de ces échappatoires et les régulateurs ferment (im)pudiquement les yeux.

Les travaux récents de la « Commission Royal » en France ont montré que la plupart des voitures diesel testées à ce jour présentent des émissions d’oxydes d’azote trop élevées en conditions réelles de conduite. Et cela ne concerne pas que VW, mais aussi, Renault, Opel, Ford, Daimler et d’autres constructeurs. Sommés de s’expliquer, tous les constructeurs déclarent utiliser la disposition permettant de désactiver les dispositifs de dépollution pour des raisons de « protection du moteur ». Dans beaucoup de cas, cette dérogation est utilisée lorsque la température extérieure est inférieure à 17°C – ce qui arrive environ 80% du temps dans une ville comme Paris…

Personne, cependant, ne pose la question de la légitimité de l’utilisation abusive de cette dérogation (que plusieurs analyses juridiques ont pourtant considéré comme illégale). Que du contraire : les constructeurs sont simplement autorisés à continuer à utiliser leur argumentation bancale et à adapter les voitures par le biais de « rappels volontaires ». Ceci illustre le discrédit dans lequel est tenue la législation européenne.

La surveillance plus que légère à laquelle est soumis le secteur provient notamment du fait que les constructeurs peuvent choisir l’autorité nationale qui accordera l’homologation à leurs véhicules et choisir le service technique qui réalisera les tests, service technique dont les prestations seront payées par le constructeur… Les homologations se font en grande partie dans les pays où sont présents les constructeurs. Soucieux de préserver « leur » industrie, les régulateurs ne posent généralement pas trop de questions et font preuve de beaucoup d’indulgence. Exceptions : le Luxembourg et Malte, où aucun constructeur n’est implanté, ont développé l’homologation en tant que secteur économique : de nombreux véhicules sont donc homologués dans ces deux pays pour être ensuite vendus partout en Europe. Il n’existe aucun contrôle de la manière dont les autorités nationales appliquent la législation et aucune transparence sur « qui homologue quoi ». Preuve de l’inefficience du système européen ? Les autorités d’homologation étaient en possession des mêmes données que l’administration américaine en ce qui concerne les émissions de VW – mais elles n’ont pas bougé.

Alors que les Etats européens avaient l’occasion de maîtriser les émissions d’oxydes d’azote des moteurs diesel, ils ont décidé de répondre aux revendications des constructeurs en autorisant les véhicules à émettre deux fois plus que la limite légale jusqu’en 2020 et 50% de plus au-delà. Le Parlement européen a entériné cette décision.
L’espoir, cependant, se situe du côté de ce dernier. Le 17 décembre 2015, les députés approuvaient la création d’une commission d’enquête « sur les violations des règles de l’UE concernant les essais d’émissions de voiture et les échecs présumés des États membres de l’UE et de la Commission européenne à faire respecter les normes de l’UE ». Cette commission devrait faire la lumière sur ce qui cloche dans la législation européenne et dans son application. Les agissements des autorités nationales qui ont refusé de dénoncer la triche des constructeurs en dépit des faits devraient être dénoncés. Les travaux de cette commission devraient nourrir les réflexions sur la réforme de la législation récemment proposée par la Commission. Reste à espérer que les eurodéputés motivés par la protection de la santé publique parviendront à couvrir les voix de leurs collègues plus enclins à défendre les intérêts financiers des constructeurs. Ce qui n’est pas gagné d’avance. Les ONG veilleront à faire pencher la balance du bon côté !