Du Val Saint Lambert au Cristal Park: dérive ou redressement?

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Le Val Saint Lambert : un château classé, une cristallerie, ex-fleuron de notre industrie wallonne et surtout des hectares de bois : un fabuleux domaine de plus de 100 hectares qui s’étend, en partie en fond de vallée, en partie à flanc du coteau mosan.

Tout cela a été cédé par la Ville de Seraing en décembre dernier (montant de la vente : 2. 360 000 ¤[[Voir apr exemple la Dernière Heure : http://www.dhnet.be/regions/liege/article/238565/seraing-vend-a-immoval.html]] ) à une société qui est également le repreneur de la faillite : Immoval, société anonyme dirigée par l’homme d’affaires brabançon Pierre Grivegnée, promoteur à Liège du projet Médiacité, et par Justin Onclin, PDG de GaultMillau[[source : http://www.gagner-reussir.be/article/index.phtml?id=1442]], représentant le holding « Châteaux et Finances Corporation ». Immoval donc est aujourd’hui quasi-propriétaire du domaine, où la Commune conservera néanmoins des intérêts. En effet, Seraing injectera le produit de la vente dans le capital de la société, mariant ainsi ses intérêts à ceux des partenaires privés. La condition suspensive, indispensable à parfaire la vente, est claire : que la société en question obtienne les autorisations nécessaires à la réalisation de son projet, but ultime de l’opération.

Immoval voit grand

Car il y a, sur le site du Val Saint Lambert, un fabuleux projet. Fabuleux et vaste, jugez-en : un centre commercial, un centre de loisirs (28 000 m²) avec aquaparc, pistes de ski indoor, cafés et restaurants, un business park (12 immeubles de 2500m², surface totale 19 000 m²), deux lotissements de 90 et 60 maisons, et en seconde phase, si Dieu a prêté vie à la première, un golf 19 trous. Tout cela est placé sous le signe du cristal. La cristallerie est en faillite? Qu’à cela ne tienne, son image se vend toujours bien, très bien, comme l’illustre le site de présentation du Cristal Park – tel est son nom – , dont la visite vaut le détour. Si la cristallerie se rétracte pour ne plus occuper que 4 200m², son image tirera l’attractivité d’un centre commercial axé sur l’ « art de la table ». Ce centre de 65.000 m² GLA[[GLA est l’acronyme de Gross Leasable Area : surface locative brute]] sera le plus grand d’Europe ; il se développera sous la forme d’un village commercial avec rues piétonnes, squares, places publiques, …, le tout entouré de 2.000 places de parking. Voilà pour le côté face.
Côté pile, relevons tout de même que le concept d’ « arts de la table » pourrait s’avérer plus élastique que prévu, et s’étend d’ores et déjà, sur le site d’Immoval, à l’équipement de la maison, la décoration et l’artisanat. Concrètement, le créneau serait plus vague encore. Il irait d’une enseigne comme Villeroy et Boch à Vandenborre et Krëfel, s’élargirait à Brico puis à un bonne série d’enseignes d’habillement… Voilà qui rappelle curieusement le centre commercial de la Città Verde, projet en cours à Farciennes et récemment soumis à l’avis des commissions régionales, dédié lui aussi à l’équipement de la maison mais incluant bricolage, jardinerie et bien d’autres choses. Voilà qui rappelle encore Médiacité, projet dont était promoteur le même Pierre Grivegnée, dédié à l’audiovisuel mais accueillant aussi bien textile haut de gamme , bowling et salle de fitness. A ces fonctions déjà annoncées, il faudra sans doute en ajouter d’autres qu’on découvrira lors de l’ouverture.

Pourquoi pas me direz-vous ? Réponse : parce que cette petite imposture n’est pas sans conséquence. Le but vanté des parcs commerciaux thématiques est d’éviter la concurrence avec les centres existants. Un commerce de nappes, de lustres, de couverts ou de rideaux ne nuit guère aux centres-villes, n’est-il pas ? Certes, mais si il y en a peu, c’est que le marché, à ce niveau de spécialisation, est relativement étroit. Difficile donc de monter un centre commercial de plusieurs dizaines de milliers de m² autour de cela ! Alors on triche, on rajoute des enseignes qui ont moins à voir, puis plus rien à voir du tout ; à la marge d’abord, puis la marge s’élargit jusqu’à occuper l’essentiel du projet. Alors les rues commerciales de l’agglomération voisine doucement s’effondrent, les vitrines s’éteignent et se couvrent de chaux, de petits panneaux « à louer »… C’est le sort que l’on voudrait voir évité aux sous-centres de Liège, à commencer par Seraing, où est en cours un important projet de reconversion du centre (le Masterplan). Ce projet, qui s’inscrit dans la « requalification urbaine de la vallée sérésienne » financée par le FEDER, propose déjà de larges surfaces commerciales qu’il s’agit de ne pas tuer dans l’½uf. Il y va de la redynamisation du tissu existant.

Et voilà pourquoi, sur ce seul volet du projet, on s’inquiète déjà.

On rase, aussi

Car ce n’est pas tout. Le projet s’articule en quelques grands espaces : le centre commercial, qui prendra la place des usines ; le château proprement dit, et à l’arrière de celui-ci et à flanc de coteau, le business-park et le centre de loisirs et de sports. Au-delà se trouveront les lotissements, bien séparés selon le standing puisque l’un, de type « village » nous dit-on, regroupera 90 maisons mitoyennes ou jumelées sur des parcelles de trois ares tandis que l’autre comportera 60 maisons sur des parcelles de 15 ares. Pour articuler la partie basse du site – centre commercial et château – avec la partie située à flanc de colline – business park, aquapark et pistes de ski – une grande place sera créée. Tout sera donc beau au pays de la fée cristalline ! Sauf qu’il y aura, au passage, quelques dégâts. Pour ouvrir la place qui donnera noblement sur le parking des espaces business et loisirs, il faudra raser la maison Deprez et sa façade classée, qui actuellement ferment latéralement l’espace sur lequel s’ouvre le château. L’actuel bâtiment d’exposition disparaîtra lui aussi. Et le village Reine Fabiola devra se trouver un autre site : il est dans le chemin de l’accès au parking. Et puis, avouons-le, il jure un peu dans le tableau que nous peint Immoval. Ce n’est pas tout. Côté nature il y aura aussi du dégât : disparition d’une charmille centenaire, mitage d’une forêt classée Natura 2000 pour bonne part[site BE 33013A0 Bois de la Neuville et de la Vecquée]] . Enfin, à l’heure où la Ville de Liège se met (enfin) au tram, Seraing marque sa préférence pour [un projet mixte train/tram sur la ligne 125A, délaissant le projet d’une ligne tram dans le boulevard urbain. Projet pourtant complémentaire au projet de Masterplan, pourtant intéressant en termes de mobilité de l’agglomération sérésienne, pourtant subsidiable par le fonds FEDER : des avantages balayés puisque la ligne 125A dessert le Val, objet, désormais, de toutes les attentions.

En zone d’habitat ?

Que fera la Région face à ce projet d’ores et déjà emballé-pesé-plié aux yeux de la Commune de Seraing ? Côté plan de secteur, on reste sur un doute : le centre commercial se retrouverait en zone industrielle et tout le reste en zone d’habitat. Certes, la zone d’habitat est mixte par nature, et peut recevoir tous types d’affectation… mais elle reste tout de même dévolue d’abord à la résidence, et la mixité souhaitée par le Code vise à intégrer les commerces et services complémentaires à cette destination première. Aussi les fonctions autres que la résidence ne peuvent-elles être accueillies dans nos « zones rouges » qu’à deux conditions: que la compatibilité de voisinage soit assurée, et que la destination générale de la zone soit respectée. Dans le cas qui nous occupe, l’un et l’autre point pourraient poser problème sur le plan juridique : quid de la compatibilité du charroi généré avec l’habitat existant ? Quant au centre de loisirs et au business park, il est difficile de les considérer comme des services annexes aux quartiers résidentiels voisins ! Il s’agit, bien plus, d’infrastructures de grande taille, créant des ruptures majeures dans le tissu urbain, et donc inaptes à figurer dans de telles zones. Faire passer ce projet par des procédures dérogatoires, ce qui paraît être la tactique puisqu’aucune modification planologique n’a été sollicitée à notre connaissance, apparaît donc bien risqué.

Mais pourquoi donc?

Mais là n’est évidemment pas le fond du problème. Celui-ci tient, bien davantage, au type de développement loisirs/commerces qui nous est une fois de plus présenté comme étant l’avenir de la Région. On reste pantois devant l’énergie que mettent les autorités locales et parfois régionales de Wallonie à soutenir de tels projets, qui certes font ponctuellement les affaires (juteuses) d’un promoteur, mais ne constituent absolument pas le tissu économique dont notre région a besoin pour assurer le bien-vivre de la population. Comment croire que la Wallonie de demain sera tissée de centres de loisirs et de retail-parks, axés sur un type de consommation dont on doute qu’il soit créateur durable de bien-être ? Comment croire que le bien-être de la population sera assuré par ces mondes de carton-pâte qu’on lui jette en pâture, et dont la jouissance postule une aisance financière qui ne sera plus, demain, à portée d’une majorité ? Est-ce cynisme, inconscience, inculture ? Manque d’imagination? Ou simplement perte de rigueur de la part d’autorités communales qui, à force de mêler intérêts publics et privés, finissent par ne plus très bien voir la limite entre les deux, et par confondre dynamisme et mégalomanie ?

Canopea