COP23 et climat : la procession d’Echternach continue

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« Quel est ton bilan de la COP23 ? Peux-tu en faire un court commentaire ? » m’a-t-on demandé. La tâche n’est pas aisée. Car cette conférence climatique était technique, multiple, mais aussi plus fondamentalement complexe car les acteurs qui y prennent part sont eux-mêmes pleins de contradictions. Indéniablement, des avancées ont été obtenues, mais elles restent bien lentes au regard de l’enjeu. Certains points de blocage sont résolus, ou en passe de l’être, même si d’autres subsistent. Assurément, le travail politique va pouvoir se poursuivre, mais la diminution effective de l’impact humain sur le climat se fait attendre. Et surtout, les politiques qui aggravent la crise climatique restent d’actualité, même si leur critique monte doucement. La réponse humaine au changement climatique ressemble ainsi à une procession d’Echternach : « trois pas en avant, deux pas en arrière… ». Peut-il en être autrement ?

L’avenir se noircit (un peu) pour le charbon

La COP23 a parlé du charbon ! Un certain nombre de pays, dont la Belgique, la France et le Royaume-Uni ont lancé une initiative pour sortir du charbon (Powering Past Coal Alliance). Même si cette initiative a eu lieu en marge des négociations, elle constitue une nouveauté notable dans une enceinte où la nécessité de sortir des énergies fossiles n’était jusque-là jamais explicitement actée par les Etats.

Les vingt pays signataires de cette initiative sont engagés depuis plusieurs années dans une sortie progressive de l’usage du charbon. Le véritable enjeu sera donc de voir si cette initiative peut croître, être renforcée ou avoir un impact sur des consommateurs de charbon, comme l’Allemagne, la Pologne, la Chine…

Concernant l’Allemagne, pays hôte de la COP23, il fût assez décevant de ne voir aucune avancée politique concrète en la matière lors de cette COP. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été mise sous les projecteurs pour cette incohérence majeure. Le 5 novembre, veille de l’ouverture officielle de la COP23, des milliers de manifestants envahissaient une immense mine de lignite à ciel ouvert à 50 km de Bonn, dans une opération de désobéissance civile portée avec enthousiasme et énergie :

J’ai eu l’opportunité, pendant la COP23, de visiter les occupants de la forêt d’Hambach, qui résistent à l’extension de cette mine adjacente en vivant dans les arbres, pour éviter que ceux-ci ne soient coupés et la zone mise en exploitation. Leur détermination et leur courage impressionnent, même s’il est difficile de savoir si leur engagement débouchera sur un succès, et la sauvegarde de ce qui reste de forêt, tant leurs moyens semblent dérisoires face au gigantisme de l’extractivisme industriel qu’ils combattent.

Chaque jour, les péniches de charbon ont continué à passer sur le Rhin, longeant le site de la COP23 comme si de rien n’était. Mais les jours sont comptés : même si les négociateurs policés continuent de faire comme s’ils n’existaient pas, les militants de terrain ont désormais un impact et un écho au sein de la diplomatie internationale, car le charbon est finalement pointé du doigt. Difficile, dans ce contexte, de croire que les projets miniers mégalomanes de l’exploitant RWE pourront se poursuivre jusqu’en 2045 comme il le souhaiterait…

On aura que le bien qu’on se donne

Autre élément à noter : il semble à ce stade que le retrait états-unien de l’Accord de Paris n’empêche pas le reste de monde de continuer à avancer dans le cadre des Nations unies. Un important programme de travail pour l’ensemble de l’année 2018 a ainsi pu être défini à la COP23, au travers du Talanoa dialogue. Une augmentation, avant 2020, des efforts climatiques de chacun est l’objectif visé. Mais ce qui ressortira de ce processus dépendra bien sûr de la bonne volonté des Etats.

C’est l’occasion pour moi de faire le point sur une critique souvent entendue de l’Accord de Paris : cet accord ne comporte pas de contrainte pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, toutes les actions en ce sens sont volontaires. C’est vrai, bien sûr. Mais il importe de se rendre compte que, de manière assez générale dans le cadre des Nations unies, la contrainte reste très relative : combien de résolutions du Conseil de Sécurité, pourtant juridiquement contraignantes, attendent toujours d’être respectées ? Sur la scène internationale, contrainte juridique ou non, ce qui détermine in fine si l’action est mise en œuvre, c’est surtout la volonté de l’Etat qui en est responsable.

Ceci est illustré de manière emblématique par le Protocole de Kyoto, pourtant juridiquement plus contraignant : les pays dont les gouvernements ne voulaient plus des objectifs fixés dans ce cadre, comme le Canada, se sont simplement retirés du Protocole. La situation la plus cocasse est celle de la seconde période d’engagement de Kyoto (2013-2020) : faute d’avoir atteint le seuil nécessaire de 144 pays signataires, le Protocole n’est pas encore entré formellement en vigueur pour cette seconde période. Il n’est donc pas encore contraignant, et ne le sera peut-être même pas avant 2020… Mais ceci n’empêche pas que de nombreux pays ont effectivement mis en place des politiques pour respecter les objectifs fixés.

La question de la contrainte, au niveau international, me semble donc largement rhétorique. Et l’Accord de Paris a au moins le mérite de ne pas envoyer de message hypocrite sur ce point. Pour avancer, il est indispensable qu’il y ait une volonté.

A cet égard, les annonces de mesures climatiques faites par une série d’Etats et de villes américains pendant la COP23 (America’s Pledge) ont été un signal fort remarqué : la Maison Blanche peut tourner le dos au reste du monde, une part non négligeable des collectivités américaines a choisi de mettre en œuvre tout de même l’Accord de Paris. Même les délégués américains officiels n’ont pas cherché à torpiller les négociations. L’ombre de Trump a été conjurée pour cette fois. Et à nouveau, c’est la complexité qui s’invite…

C’est ainsi que cela se passe : chacun met sa contribution sur la table. Dans cette catégorie, on soulignera aussi la demande faite par les Pays-Bas que l’Europe augmente son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à -55% en 2030 (au lieu de se contenter de -40%). Il est encore trop tôt pour savoir si d’autres pays emboîteront le pas à cette proposition pertinente, mais c’est de ce genre de dynamique que dépendra l’issue des prochaines COP (et l’avenir de l’humanité).

En conclusion, la réponse humaine au problème climatique est loin d’être un long fleuve tranquille. Complexe, morcelée, ambigüe ou même incohérente, elle est le reflet de nos sociétés. On peut le regretter, car l’optimum d’efficacité semble loin, et les bouleversements climatiques, surtout, commencent à faire sentir leurs ravages. L’humanité semble condamnée à progresser rapidement, ou à souffrir durablement.