Transport : les coûts du changement…

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Le 06 décembre, le groupe des Verts au Parlement européen organisait une conférence intitulée « A fair deal for cars ». L’objectif poursuivi était double. D’une part, démontrer que l’affirmation selon laquelle l’automobiliste est la « vache à lait » de l’Etat est totalement infondée. La démonstration a déjà été faite à mainte reprise, mais l’image de la vache à lait étant encore fortement ancrée dans les mentalités, il est toujours bon de remettre le couvert ! D’autre part, faire avancer la réflexion sur l’internalisation des coûts externes. En la matière, les déclarations politiques se limitent en effet souvent à un discours incantatoire (« il faut internaliser les coûts externes ») dont le bien-fondé est rarement interrogé.

Il est intéressant de revenir sur cet événement, et plus particulièrement sur deux interventions (téléchargeables à cette adresse).

1.600 ¤/an de coûts externes

La conférence s’ouvrait avec la présentation d’une étude réalisée par la Technische Universität Dresden (Prof. Dr. Udo Becker). Intitulée « The external costs of cars in EU-27 – overview of existing estimates », ce travail consistait en une analyse de la littérature en la matière et l’extraction d’une base de données. En prenant le parti de ne pas chercher la précision à la virgule près, les auteurs ont établi de très bons ordres de grandeur, illustratifs de l’ampleur des coûts externes du système automobile, tout en rappelant le côté arbitraire de l’adoption de coûts pour certaines externalités. Ainsi, conformément aux pratiques actuelles, le coût d’une vie humaine a été pris égal à 1,67 millions d’euros. Mais n’est-il pas quelque part indécent de chiffrer ainsi la souffrance ?
Les coûts externes (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas payés par l’utilisateur) pris en compte sont ceux relatifs aux accidents, à la pollution, au bruit, au climat et aux aspects amont et aval. Les coûts d’infrastructures n’ont pas été intégrés au calcul. Sur cette base, les coûts externes des transports en EU27 s’élèvent à environ 514 milliards d’euros – dont 314 pour les voitures. Le résultat est particulièrement marquant quand on le rapporte à chaque véhicule : en moyenne, chaque voiture européenne génère 1.600 euros de coûts externes par an (soit 0,11 ¤/km sur base de 15.000 km annuels). Ces coûts, quelqu’un, quelque part, à un moment ou l’autre, les payera, rappelle le professeur Becker.

Accises et taxe kilométrique

L’exposé de Huib van Essen, de l’institut CE Delft, était vraiment très intéressant, très riche, révélateur de quelqu’un qui a beaucoup de métier et qui mène une très bonne analyse, dépassionnée mais passionnante ! Les raison d’une taxation à l’utilisation (pricing) peuvent être de trois ordres, selon lui : (1) influencer les comportements, (2) assurer des revenus à l’Etat, ou (3) améliorer l’équité entre utilisateurs. Les systèmes de taxation forfaitaires actuels sont, généralement, fondés sur la raison (2) : assurer des revenus à l’Etat, que ce soit pour verser à son budget global ou pour entretenir et développer les réseaux de transport.
Pour déterminer l’architecture d’un système de taxation à l’utilisation et des montants à payer, deux approches sont possibles. La première consiste à partir des coûts externes (en les quantifiant) et, sur base de cela, bâtir un outil d’internalisation, celle-ci constituant dès lors un but en soi. C’est l’approche de la Commission européenne, qui vise à améliorer une certaine équité entre utilisateurs (raison (3) ci-dessus) : qui utilise moins paye moins. Dans la deuxième approche, on part des objectifs à atteindre pour bâtir un système de taxation qui permette d’atteindre ces objectifs. Cette logique correspond à la raison (1) ci-dessus : influencer les comportements. C’est d’ailleurs sur ce modèle que fonctionnent les différents systèmes de péage urbain.
Par ailleurs, Huib van Essen rappelle que deux types d’instruments existent – et peuvent coexister : ceux basés sur la consommation de carburant et ceux basés sur la distance parcourue (taxation kilométrique). Les premiers sont préférables si l’on veut imputer à l’utilisateur les coûts climatiques ou de mise à disposition de l’énergie. Il s’agit d’un outil efficace : après traitement statistique pour effacer l’influence des autres variables, il apparaît qu’une augmentation de 10% du prix du carburant entraîne une diminution de 6% de sa consommation. Les seconds sont plus indiqués pour les coûts d’infrastructures, de pollution de l’air, de bruit, d’accidents.
Tout en appelant de ses v½ux une réforme des outils de taxation du transport routier et en dégageant des pistes de solution concrètes pour une mise en application, Huib van Essen conclut son exposé en ces termes : « la taxation kilométrique n’est pas la solution miracle pour instaurer la durabilité ».

Au-delà de l’internalisation

Il était particulièrement motivant, en ce jour de Saint-Nicolas 2012, de voir développées de manière aussi brillante ces réflexions qui rejoignent celles esquissées par IEW dans le dossier « taxer plus, taxer mieux ». Selon IEW, l’internalisation ne doit pas constituer une fin en soi, mais un outil à utiliser au service d’objectifs, environnementaux notamment. Ceci rejoint la deuxième approche identifiée par Huib van Essel
Dans l’hypothèse (tout à fait réaliste) où les tarifs de la taxation kilométrique résultant d’une internalisation complète des coûts externes ne seraient pas suffisants pour induire une modification significative des comportements, il conviendrait donc d’aller au-delà de l’internalisation. C’est ce que réalisent déjà de nombreux systèmes de péage urbain. Pas de doute : il s’agit là d’un sujet émergent, en lien étroit la problématique de monétarisation des services environnementaux, dont on reparlera beaucoup dans les mois et années à venir.