Sécurité routière : les Nations Unies dérapent

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Nous sommes tombés de notre chaise lorsque nous prîmes connaissance, grâce à un communiqué de la Fédération européenne des victimes de la route (FEVR)[ [relayé par IEW et l’association Parents Victimes de la Route (PEVR) ]] de la nomination de Jean Todt, président de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA), comme envoyé spécial de la Sécurité Routière par les Nations Unies. C’est, à nos yeux, comme si on nommait le patron de Monsanto envoyé spécial à l’agriculture biologique. Mise en perspective.

« Je souhaiterais que l’on étudie la question de l’augmentation de la vitesse sur autoroute. Nous sommes dans des véhicules sécurisés et si confortables que rouler à 130 km/h ne donne pas l’impression de vitesse. Or cette limitation qui est imposée pour plus de sécurité est à l’origine de comportements particulièrement risqués de la part d’automobilistes qui vont téléphoner en roulant. Selon moi, c’est bien plus dangereux que rouler à 150 km/h sur une autoroute dégagée. » Cette déclaration de Jean Todt, président de la Fédération Internationale de l’Automobile ne nous étonne guère quand on prend connaissance de son curriculum entièrement dédié à l’automobile et à la vitesse. Monsieur Todt est en effet un ancien copilote de rallye français, devenu directeur d’écurie de sport automobile, d’abord de Peugeot Talbot Sport en 1981, puis de la Scuderia Ferrari en 1993, puis directeur et administrateur de Ferrari de 2004 à 2008. Sous sa direction, Peugeot a décroché 4 titres de champion du monde en rallye (pilotes et constructeurs), 4 victoires au Rallye Dakar, deux victoires aux 24 Heures du Mans, et Ferrari 14 titres de champion du monde de Formule 1 (pilotes et constructeurs)[[(source : Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Todt]].

Ce qui par contre n’a de cesse de nous étonner, c’est sa nomination comme envoyé spécial à la sécurité routière par le secrétaire Général des Nations Unies Monsieur Ban Ki-Moon. Et ce, à la veille de l’ouverture de la Semaine de la Sécurité routière par l’agence onusienne.

Penser la sécurité routière aujourd’hui ne peut se faire sans une prise de conscience sérieuse de la domination de l’automobile dans les modes de déplacements – et des effets secondaires négatifs qui en découlent – et sans une prise en compte réelle des usagers dits faibles que sont les piétons et les cyclistes. Une sérieux questionnement de l’évolution des automobiles actuelles, toujours plus lourdes et plus puissantes est également nécessaire. Or, comme le rappelait Pierre Courbe dans cet article, la valeur moyenne de la puissance des véhicules neufs vendus en Belgique était de 52 kW en 1980[De Mol et al. : The evolution of car power, weight and top speed during the last twenty years in Belgium: a consideration for future policies, Ghent university, 2008]], 72 kW en 2001 et 84 kW en 2012[[European vehicle market statistics, Pocketbook 2013, ICCT]]. Par ailleurs, la valeur moyenne de la vitesse maximale des voitures neuves vendues en Belgique était de 183 km/h en 2010 contre 177 en 2001[[ICCT, ibid.]]. Cette tendance est celle prônée par les fédérations d’automobile dans leur ensemble. Et est celle contre laquelle IEW se bat en faisant, [dans un opuscule richement documenté et attrayant, des propositions concrètes à toute personne susceptible d’influencer ou de poser des choix en matière de politiques publiques de transport.

Ignorer – ou feindre d’ignorer – ou pire, remettre en question le lien de causalité entre vitesse et insécurité routière « relève d’une méconnaissance totale des lois élémentaires de la physique comme de tous les retours d’expérience de ces dernières dizaines d’années. A titre d’exemple, en France, 7.655 personnes ont perdu la vie sur les routes en 2002. L’introduction progressive des radars automatiques dès 2003 a été l’élément décisif qui, couplé à l’abaissement du taux d’alcoolémie (et à un renforcement des contrôles), a permis de faire baisser de 21% le nombre de tués en un an. Du fait de cette diminution exceptionnelle, 1.600 vies ont été épargnées en 2003 (ce qui, bien sûr, n’enlève rien aux drames des 6.058 tués sur les routes françaises en 2003)« [Voir [La nausée… ]]. Et relève surtout d’un cynisme et d’une mauvaise foi dont font notamment preuve les automobilistes regroupés en France sous le nom évocateur de Ligue de Défense des Conducteurs[[Pierre Courbe, ibidem]]

Comme le souligne Jeannot MERSCH, président de la FEVR, « cette nomination jette une ombre regrettable sur la 3ième semaine de Sécurité Routière » qui, sous l’égide des Nations Unies, s’ouvre cette semaine.

La FEVR, PEVR et IEW ont quant à eux rédigé une charte pour promouvoir le concept de LISA Car – une voiture dont la masse, la puissance, la vitesse de pointe et la conception de la face avant sont optimisés afin de limiter sa dangerosité et ses émissions de CO2. Pas sûr que monsieur Todt accepte de la signer…