Réseau routier wallon : après l’exubérance et l’insouciance, la sagesse ? (1/2)

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Volonté d’accroître le réseau, insuffisance des budgets d’entretien et de sécurisation et manque de rigueur dans la gestion des travaux ont, durant des décennies, généré une détérioration du patrimoine routier wallon. La politique d’accroissement du réseau, intimement liée à un aménagement du territoire faisant fi des questions de mobilité et d’accessibilité, a également nuit à l’instauration d’un système de mobilité plus durable. Aujourd’hui, les signes d’une réorientation des pratiques se font sentir même si les « vieux démons » ne sont pas encore tout à fait morts. Analyse.

Deux documents récemment publiés permettent de prendre la mesure des évolutions en cours – et de la difficulté de tourner le dos à certaines logiques qui ont longtemps prévalu :

 le rapport d’audit de la Cour des comptes publié en novembre 2015 et intitulé « Les contrôles de la qualité des travaux d’entretien du réseau routier et autoroutier de la Région wallonne » ;

 le « Plan infrastructures 2016-2019 » dévoilé par le Ministre des Travaux publics fin janvier 2016.

C’est ce deuxième document que nous analyserons ici, le rapport de la Cour des comptes fera l’objet d’un prochain article.

Le plan infrastructures : un exercice de haute voltige

Le plan infrastructures concerne le réseau (auto)routier régional et le réseau des voies navigables. Nous concentrerons ici sur le premier.

Répondre aux énormes besoins d’entretien et de sécurisation du réseau existant en prêtant une attention spéciale aux ouvrages d’art, lutter contre la pollution sonore, développer les modes doux tout en répondant à quelques demandes d’extension du réseau, le tout dans le cadre d’un contexte budgétaire nécessairement limité. Telle est l’équation à multiples inconnues que tente de résoudre le volumineux plan infrastructures 2016-2019 structuré en cinq parties (présentation – évaluation des impacts socio-économiques – rapport DGO1 – rapport DGO2 – liste des dossiers) et une annexe relative aux ouvrages d’art.

La communication accompagnant la présentation du plan insiste sur le « programme d’investissement sans précédent » arrêté par le Ministre. 640 millions d’euros (dont 75 millions pour les voies hydrauliques) d’ici la fin de la législature, dont 320 correspondent à l’affectation de budgets classiques (SPW, SOFICO, SOWAFINAL 3) et 320 seront issus du prélèvement kilométrique pour les poids lourds de plus de 3,5 tonnes. Ceci fait suite au « Plan routes » du précédent gouvernement (500 millions d’euros). Les chiffres peuvent donner le tournis. Ils n’en demeurent pas moins fort modestes par rapport aux besoins identifiés par l’administration. La DGO1 estime à 2.241.615.671 euros[[Plan infrastructures, partie 3, p. 38]] les seuls besoins[[« Un besoin est l’expression d’un problème, d’une situation anormale ou dégradée sur le réseau (par exemple : carrefour dangereux, pont à réparer, revêtement dégradé, éclairage à moderniser, …). », Plan infrastructures, partie 3, p. 7]] en matière de « revêtement »[[« réhabilitation complète ou des couches supérieures », Plan infrastructures, partie 3, p. 7]] pour remettre à niveau le réseau routier régional[[Le réseau routier régional est constitué de 2.235 km de voiries structurantes (dont 868 km d’autoroutes) et de 6.140 km de voiries secondaires. Plan infrastructures, partie 1, page 9]]. Les besoins en matière « d’aménagements routiers de sécurité et traversées d’agglomérations » sont, quant à eux, estimées à 728.300.927 euros[[Plan infrastructures, partie 3, p. 34]]. A cela s’ajoutent des besoins en matière d’ouvrages d’art, d’éclairage, signalisation et ITS, de modes doux, de lutte contre le bruit, … Une fois le réseau remis à niveau, encore faut-il pouvoir l’entretenir. Or, « Une étude finalisée en janvier 2015 par la DGO1 estimait les besoins récurrents en entretien nécessaires à l’entretien des routes en Wallonie à 434,7 millions d’euros HTVA par an. […] En moyenne, ces dernières années, cette enveloppe idéale est couverte à environ 50 à 60%. »[[Plan infrastructures, partie 2, p. 8]]

L’insuffisance des moyens génère des tensions entre différentes priorités. Si d’une part « les accotements, pistes cyclables et trottoirs le long des routes régionales, nécessitent des améliorations »[[Plan infrastructures, partie 1, p. 19]], il n’en demeure pas moins que, pour les revêtements, « sur base de la différence importante entre les montants proposés (ainsi que sur base du pourcentage relatif par rapport au total), il a été acté d’augmenter la part relative aux revêtements (au détriment notamment du silo relatif aux aménagements doux). »[[Plan infrastructures, partie 3, p. 31]]

Très alarmante également est l’incapacité à lutter comme il le faudrait contre les nuisances sonores : « la Note stratégique concernant la lutte contre le bruit fait état d’un montant de 600.000.000 € qui serait nécessaire pour mettre en œuvre le plan d’actions visant à traiter les différents sites identifiés conformément à la Directive européenne en la matière. » La question de l’entretien des ouvrages d’art est cruciale, l’état des tunnels routiers bruxellois en témoigne. Or, « un montant de 500.000.000 € est cité dans la Note stratégique concernant les ouvrages d’art afin de réhabiliter l’ensemble des ouvrages sur une période de 10 ans. »[[Plan infrastructures, partie 3, p. 24]]

Les choses sont donc claires : la Wallonie ne dispose pas des moyens nécessaires pour entretenir son réseau routier. Les budgets d’entretien étant inférieurs aux besoins récurrents, le patrimoine ne peut que se dégrader inexorablement. Ainsi en va-t-il de ces vieilles demeures bâties par un ancêtre fortuné, dépensier, peu soucieux des conséquences de ses choix ou mégalomane : les héritiers, ne pouvant maintenir le patrimoine en état, assistent à sa lente décrépitude en dépit de tous leurs efforts. D’où la nécessité de pousser la réflexion au-delà de la réponse ponctuelle (bien nécessaire) apportée par le plan infrastructures.

Etendre ou déclasser ?

Le plan infrastructures a été construit sur base d’une analyse s’appuyant sur les thématiques suivantes :

 aménagements routiers de sécurité et traversées d’agglomération ;

 revêtements (réhabilitation complète ou des couches supérieures) ;

 éclairage, signalisation tricolore, ITS (autoroutes intelligentes) et télécoms ;

 routes de l’emploi et extension du réseau ;

 aménagements doux : piétons/cyclistes (hors RAVeL) ;

 lutte contre le bruit ;

 parkings de covoiturage ;

 aires autoroutières ;

 bassins d’orage ;

 aménagements paysagers

Sous le terme « routes de l’emploi et extension du réseau » sont regroupés d’une part des accès hospitaliers, à des zones d’activités économiques et à des grands pôles d’emplois et d’autre part des projets d’extension du réseau (tels des contournements routiers) visant à « assurer le développement économique et social » de la Wallonie. « Au total, ce sont 89,5 millions d’euros qui seront ainsi réservés pour le développement des Routes de l’Emploi, soit près du double de ce qui avait été initialement envisagé dans le Plan Marshall 4.0 »[[Plan infrastructures, partie 1, p. 20]].

On peut légitimement se poser la question de la pertinence d’accroître encore la valeur d’un patrimoine routier que l’on n’a pas les moyens d’entretenir. Pour reprendre l’analogie de la vieille demeure familiale délabrée, est-il bien raisonnable de lui bâtir une annexe alors qu’on ne dispose pas des moyens de rénover comme il le faudrait la toiture percée de toutes parts ? D’autres considérations amènent à remettre en question le bien-fondé de l’accroissement du réseau routier, dont la moindre n’est pas l’absolue nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre d’un secteur qui échappe pour le moment à tout contrôle. D’autant que l’accroissement d’offre d’infrastructures routières génère un accroissement de la mobilité : l’OCDE soulignait en 2002 que « des travaux de recherche menés aux Etats-Unis indiquent que l’augmentation de la capacité des routes risque en fait d’induire une demande de mobilité supplémentaire, aggravant ainsi le problème » et que « la démarche du « predict and provide » (prévoir et pourvoir [en infrastructures routières]) est aujourd’hui dépassée »[[OCDE, 2002, La demande de trafic routier – relever le défi, p. 201]].

La logique mortifère qui a conduit à la réalisation du contournement de Couvin[Rappelons que, en 2005, le CWEDD soulignait que « la construction d’une route d’un tel gabarit dans une région aussi pittoresque et vallonnée entraîne incontestablement des nuisances considérables et des incidences environnementales fortes »]] (environ 180 millions d’euros pour 14 km – voir [ici et ici) semble toutefois partiellement remise en question avec la « mise au frigo » du deuxième « grand » projet wallon, à savoir la liaison E40-E25 (A605) entre Cerexhe-Heuseux et Beaufays (projet CHB). Partiellement, car d’autres projets d’extension du réseau sont maintenus. Citons à titre d’exemple : le contournement de Wavre (15 millions d’euros), la liaison entre Lobbes et Erquelines (1ère phase – 10 millions d’euros), le contournement nord de Tubize (11 millions d’euros), le contournement d’Oudler (8 millions d’euros), la liaison Tihange-Strée-Tinlot (7,5 millions d’euros).

Osons cependant aller plus loin que le simple « gel » du réseau auquel conduirait la prise en compte de l’avis de l’OCDE précité. Le dommage infligé à une voirie par le passage d’un véhicule est environ proportionnel à la quatrième puissance de la charge par essieu. « le passage d’un camion de 44 tonnes équivaut au passage d’environ 150.000 véhicules cumulés ! »[[Plan infrastructures, partie 1, p. 12]] On peut dès lors souligner la pertinence d’une réflexion sur l’affectation de certains tronçons du réseau à la seule circulation des véhicules légers (vélos, motos, voitures et utilitaires légers), voire à la seule circulation des modes doux. Cette solution offrirait un double avantage : la diminution des frais d’entretien du fait d’une moindre détérioration et l’incitation à l’utilisation des modes doux. La question mérite au moins que l’on s’y attarde, sans dogmatisme d’aucune sorte.

Oser le préventif en complément du curatif, oser l’exemple

L’augmentation du trafic routier constitue une des raisons majeures de l’accélération de la dégradation du réseau. Les politiques de maîtrise de la demande de transport et de transfert modal (qui ont pour effet de diminuer le trafic) apporteraient dès lors – outre leurs nombreux avantages tant sociaux qu’environnementaux – un élément de réponse déterminant à la question de l’entretien du réseau. Une telle approche préventive doit être considérée comme parfaitement complémentaire à l’approche curative dont relève le Plan infrastructures.

Maîtrise de la demande et transfert modal sont également les deux principales voies d’actions qui s’offrent à nos sociétés pour sortir en douceur du système automobile (ce qui, on en conviendra, est préférable à une « sortie de route » dudit système). Leur mise en œuvre est entravée par de nombreuses inerties : attachement à la logique de croissance du réseau (on a tous son chaînon manquant), attitude positive face à la croissance du parc automobile, passivité devant la croissance du trafic et refus de limiter strictement le mitage du territoire, … Par ailleurs, un frein majeur mais souvent négligé réside dans la valorisation sociale de l’automobile renforcée tant par la surmédiatisation des courses de bolides motorisés divers que par le régime fiscal de faveur dont bénéficient les voitures-salaires ou l’omniprésence de la publicité automobile dans l’espace public. A ce titre, le rôle d’exemple de toutes les personnes qui jouissent d’une visibilité médiatique est crucial. Oser une autre mobilité au quotidien, oser l’exemple est tout aussi important qu’oser une approche préventive.