Les Pichepots de Mons, un beau cas local de rentrée

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Il y a des chevaux qui paissent et le sol s’enfonce si l’on essaye d’y marcher. Le regard porte loin, entre les rideaux d’arbres, jusqu’à la crête du Mont Panisel. La prairie des Pichepots, à Hyon[Deux approches historiques et géographiques complémentaires sur Hyon : [http://www.artthemis.be/villagesdemons/geo2.php?id=8&id_rubrique=18 et http://fr.wikipedia.org/wiki/Hyon]], se présente comme une respiration naturelle, cernée par des maisons et des tours à appartements qui profitent toutes à pleins poumons de ce vaste dégagement vert. Faut-il s’étonner que le lieu soit l’objet de convoitises immobilières ? Non. Faut-il pour autant l’accepter ? Non, non plus !

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A deux pas de la ville de Mons, à l’est pour être précis, Hyon fait figure de quartier très prisé pour la résidence, un vrai village accroché à la cité. L’avenue Gouverneur Cornez, qui borde le site, est déjà bâtie sur son bord opposé. Sur le plan immobilier, urbaniser la prairie humide des Pichepots représenterait donc une démarche raisonnable, une très petite prise de risque, bref un excellent placement, tellement facile à déguiser en projet de densification. Oui mais, comme on vient de vous le dire, le sol est humide et le paysage exceptionnel. L’opération d’urbanisation sera donc un peu coriace ? Tout à fait. Car à Hyon, commune de Mons, vous devez compter sur trois réalités avec lesquelles on ne joue pas impunément. J’ai nommé : l’eau, les riverains et le règlement communal d’urbanisme.
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Des drains ! – Le site des Pichepots correspond à l’espèce de filet à larges mailles qui s’étend entre le noyau villageois d’Hion (sic) à l’ouest, les fortifications de Mons au nord-ouest, et le versant brun foncé du mont Panisel à droite de l’image. Détail d’une carte de 1691, de provenance inconnue, publié sur le site « Villages de Mons ».

L’eau des Pichepots

Jusqu’à la Révolution industrielle, Mons était littéralement cernée de marais et de zones humides. La prairie des Pichepots est un reliquat de cette situation d’origine, modifiée à force de travaux d’assèchement par drainage et canalisation. La fiche descriptive du site de grand intérêt biologique 1263 « Des Pichepots », jointif avec notre prairie, précise qu’« avant d’être détournée et canalisée, la Trouille débordait fréquemment dans cette cuvette. » Le toponyme ancien de Pichepots s’appliquait à l’entièreté du site au pied occidental du Mont Panisel, incluant le SGIB 1263 et notre prairie. Ce nom traduit de manière éloquente la présence d’eau et, urbanisation oblige, la mise en place d’un moyen de la collecter. En l’occurrence, les drains qui parcourent le site depuis des siècles, comme l’illustre l’extrait de carte ci-dessus, datant de 1691.

Fort utiles sous l’ancien régime pour assécher le sol, ces drains ont peu à peu cessé d’être entretenus et se fondent aujourd’hui dans le paysage, n’exerçant plus une action drainante à proprement parler. La partie nord du réseau visible sur la gravure est encore perceptible sur des plans actuels. On trouve dans la réserve naturelle privée des Prés du Village, logée au cœur du site de grand intérêt biologique 1263, des marais, des prairies humides à l’abandon et « plusieurs anciens fossés de drainage aujourd’hui obsolètes (…) bordés d’alignements de saules qui ont été taillés en têtards. Ces saules n’ont pas été entretenus et rares sont ceux qui pourraient aujourd’hui être à nouveau têtardisés (sic) »[[Texte de Jean-François GODEAU pour la fiche descriptive du site n°379 dans l’inventaire de la biodiversité en Wallonie, réserve privée des Prés du Village, gérée par le RNOB de la Haute-Haine.]].

Une chose est sûre, ce genre de terrain humide ne se prête pas aisément à la construction, laquelle sollicite des moyens techniques et financiers qui seront ensuite reportés sur le prix des parcelles et des bâtiments. Voyez à ce sujet les grands ennemis de la densification, détaillés dans la nIEWs «Que vont nos campagnes devenir ?». Passer outre ce genre de précaution et s’entêter à urbaniser les zones humides, ce n’est plus du progrès, c’est faire preuve d’une vision à court-terme basée sur la rentabilité immobilière. Tant que ce genre de mauvaise habitude aura cours, la Fédération la stigmatisera, car elle est contraire au bon aménagement des lieux. Bob l’Eponge vous le confirmera : en cas d’inondation, pour savoir qui est en faute, il ne faut pas toujours regarder qui est mouillé…

Le règlement communal d’urbanisme de Mons

Alors qu’elle présente des caractéristiques similaires et une excellente continuité avec des zones d’accueil de la biodiversité reconnues, alors qu’elle complète le grand paysage d’Hyon jusqu’au Mont Panisel, pourquoi la prairie jouxtant l’avenue Gouverneur Cornez n’a-t-elle pas été inclue dans le site de grand intérêt biologique ? Mystère. Il s’agit d’une lacune que le règlement communal d’urbanisme de Mons, publié en 2006, a tenté de combler, du moins en partie. Pour la prairie des Pichepots – dite aussi prairie Gouverneur Cornez faute d’appellation officielle – il précise que cette zone d’aménagement communal concerté, ou ZACC, sera laissée « verte », et seulement éventuellement bâtie dans sa frange ouest, le long de l’avenue Gouverneur Cornez, moyennant un rapport urbanistique et environnemental en bonne et due forme[Selon le CWATUPE actuel, on ne peut se passer de l’étape « Rapport urbanistique et environnemental » pour mettre en œuvre tout ou partie d’une ZACC. Le plan de secteur prévoit en effet à cet endroit ([http://lampspw.wallonie.be/dgo4/site_thema/index.php?thema=modif_ps) une affectation en zone d’aménagement communal concerté, ou ZACC, c’est à dire en attente d’une concertation des forces vives de la commune sur le devenir de la zone. Voyez en particulier les articles 18 et 33 du CWATUPE. Exemple à Dison, avec le RUE d’Andrimont sur la ZACC du Wesnî.]]!

Les riverains

Mons est jumelée avec Little Rock, dans l’Arkansas. Les sémillantes Marilyn Monroe et Jane Russel chantant « We’re just two little girls from Little Rock » pourraient vous donner une idée de l’énergie des riverains, pourtant totalement novices en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme ou de drainage des sols détrempés. C’est la perspective de voir leur petite Camargue montoise disparaître au profit de constructions qui les a tout à coup galvanisés et soudés. Ce travail de plombier-zingueur doit peut-être beaucoup au NIMBY, mais il est très loin de n’être que cela. Comme on l’a vu plus haut, la norme approuvée par la commune et les condition de terrain ne vont pas non plus dans le sens d’une urbanisation irréfléchie. La qualité paysagère du site déborde du zonage du plan de secteur qui saucissonne un site naturel, et rayonne sur Mons, bien au-delà du village de Hyon, puisque les espaces verts un peu sauvage y sont devenus une denrée rare. Non, le refus exprimé à Hyon n’est pas qu’une égoïste plainte de propriétaires ayant acheté « avec vue ». Oh et d’ailleurs, que ceux qui aiment vivre face à un mur en bardage métallique leur jettent la première pastèque…

En matière de mobilité, les riverains soulignent à quel point l’avenue Gouverneur Cornez est multimodale. Pouvoir marcher le long des prairies du Mont Panisel renforce considérablement leur sentiment d’appartenance et leur respect de l’environnement local. Aujourd’hui très fréquentée par les piétons qui l’empruntent avec plaisir pour des trajets utilitaires, grâce à son ouverture large vers la campagne, l’avenue perdrait fort probablement cet aspect de mobilité active si elle devait être refermée sur son bord « vert ».

Il y a à Hyon tous les ingrédients pour un beau cas local à la sauce IEW :

  • – des riverains qui se prennent en main et veulent dialoguer avec toutes les forces en présence;
  • – une situation de fait qui pose question sur le plan environnemental;
  • – une situation de droit qui n’est pas comprise ou pas prise en compte par les autorités aptes à délivrer un permis d’urbanisme ou un permis unique;
  • – c’est tout, et c’est beaucoup!

Nos cas locaux sont très nombreux, et ils durent longtemps, parce qu’on n’a pas encore inventé l’épée à trancher les nœuds gordien, ni le massage pour tête-de-mule. En matière d’aménagement du territoire, les chargés de mission traquent ceux qui pratiquent allègrement le « Comment ne pas se conformer à quelque chose que l’on a soi-même mis en place ? » Dans la plupart des cas, la meilleure issue reste pour nous quand le contrevenant accepte de relire la norme avec l’intérêt collectif en guise de lunettes. C’est ce que nous espérons pour Hyon aussi. La Fédération Inter-Environnement Wallonie a accepté d’accompagner les riverains réunis en comité « Défense de la prairie Gouverneur Emile Cornez » pour les épauler dans leur réflexion, avec l’ambition d’un jour les aider à transférer leurs démarches pour aider d’autres citoyens ou les autorités dans des questions similaires.

Urbaniser le site des Pichepots, même en suivant à la lettre la procédure de mise en œuvre de la ZACC, serait une magnifique illustration de la distorsion entre règles d’aménagement et application sur le terrain. La densification aujourd’hui prônée pour mieux partager le territoire et l’utiliser avec parcimonie ne trouve pas à cet endroit une dent creuse, un chancre en mal de ré-humanisation. Elle tombe pile sur une de ces « poches vertes » qu’elle recommande de placer dans les quartiers denses pour les rendre plus attractifs. A quoi bon créer de toute pièce quelque chose qu’on a sous la main, tout vert et tout frais, qui dépasse de loin en qualité le lopin sans relief et récemment planté de baliveaux « d’espèces indigènes conformes à la liste en annexe« ? Mons est déjà une ville relativement dense, qui regorge d’îlots en attente de réfection et de maisons en mal de soins urgents. Les Montois ont besoin des prairies des Pichepots, classées ou non, et même s’il est difficile d’y marcher!

En savoir plus

Les habitants ont réalisé une vidéo de 23 minutes où ils témoignent de leur attachement au site
http://www.youtube.com/watch?v=8yBaMAaoSmg

Un reportage radio de Stéphanie Vandreck ce 10 septembre 2012 à Hyon, pour la RTBF :
http://www.rtbf.be/info/regions/detail_des-riverains-remontes-a-hyon-mons?id=7836353

Quelques cas locaux d’aménagement du territoire, encore non résolus à ce jour

 l’arvau de Boussu, passage public séculaire enchâssé dans la Justice de Paix :
« A Boussu, la justice veut couper le passage »

 les aléas d’un tourisme dépassé, sur la commune de Trois-Ponts :
« L’épopée tripontaine des Louk’a Ti, pour quelques arpents verts… ou blancs »

 le village commercial et la piste de ski du Val Saint-Lambert :
« Cristal Park à Seraing, le retour du carton-pâte »

Le plan de secteur de Mons

A droite au centre, la grande ZACC des Pichepots.
Extrait du plan de secteur de Mons, plan n°45, partie 7.
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Un peu de réserve naturelle ?

Fin avril 2009, environ onze mille hectares de sites naturels bénéficiaient d’une protection juridique forte, ce qui correspond à 0.65% du territoire de la Wallonie. Conscient de l’importance d’augmenter la surface des zones protégées, le Gouvernement wallon a inscrit dans sa DPR l’objectif « d’au moins doubler à l’échéance 2014 le pourcentage de la surface du territoire ayant le statut de réserves naturelles » ( Projet de déclaration politique régionale 2009-2014 (PDF-1927 ko)).

Les espèces végétales de la réserve des Prés du village (2,53 hectares)

« La réserve naturelle se situe à quelques centaines de mètres de la ville de Mons, au sein d’un grande zone humide (environ 10 ha) dite ‘Les Pichepots’. La végétation des zones humides est essentiellement constituée par la mégaphorbiaie (végétation herbacée haute et dense sur sol riche, dominée par Filipendula ulmaria, Urtica dioica et Epilobium spp.) et quelques plages monospécifiques de massettes (Typha latifolia), de roseaux (Phragmites australis), de joncs (Juncus inflexus et J. effusus), de laîches (Carex spp.) et localement de prêles (Equisetum arvense et E. palustre). C’est dans la partie centrale et nord-est de la réserve que le sol est le plus gorgé d’eau : on y trouve la massette en abondance, mais aussi une mégaphorbiaie plus diversifiée. C’est aussi là que l’on rencontre les deux espèces d’orchidées (Dactylorhiza majalis et D. incarnata), espèces notables du site, mais aussi l’angélique, le populage des marais, le jonc acutiflore,… En marge du bosquet et des alignements d’arbres, l’abondance des espèces végétales nitrophiles témoigne de l’eutrophisation exercée par les ligneux, la diversité botanique y est généralement moindre. Dans la partie nord et nord-est de la réserve des zones banalisées sont recouvertes d’imposants ronciers ou de massifs d’orties. » (Notice de Jean-François Godeau, mise en ligne sur le Portail de la biodiversité en Wallonie : http://biodiversite.wallonie.be/fr/accueil.html?IDC=6)

Crédit de la première photographie : prairie des Pichepots, S.Croufer, juillet 2012.