La Belgique sur la voie d’une réforme fiscale verte ?

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Malgré les appels du pied répétés de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), malgré les recommandations faites par les deux derniers plans fédéraux de développement durable, le gouvernement belge n’avait jusqu’ici pas osé se mouiller en matière de fiscalité verte. Certes, le sujet avait été débattu dans les salles du Printemps de l’environnement, le processus participatif initié par le Ministre Magnette il y a un peu plus d’un an, mais les mesures en résultant avaient été confiées à l’étude d’un groupe de travail qui devait être piloté par le Secrétaire d’État à la fiscalité Bernard Clerfayt et qui n’a finalement jamais vu le jour.

Mais la Belgique semble sortir ces dernières semaines de son autisme en la matière, en tout cas dans le chef du Secrétaire d’État Clerfayt. Même si celui-ci semble encore bien isolé sur le plan politique et si le processus n’en est qu’à ces balbutiements, la Fédération ne peut que se réjouir de ce frémissement qui constitue déjà une première avancée tant les blocages apparaissaient nombreux, notamment au niveau des entreprises.

La réforme selon Clerfayt

Bernard Clerfayt suggère «une grande réforme fiscale environnementale répondant aux impératifs de la crise financière et à la lutte contre les changements climatiques.» Celle-ci devrait se matérialiser par «un transfert de la fiscalité sur le travail vers la fiscalité de l’énergie, à fiscalité constante et sans régressivité».

Par-delà ce grand principe, les propositions concrètes sont encore évasives et restent à trancher.

Ainsi, la volonté première de Clerfayt, au travers de cette vaste réforme, serait d’augmenter progressivement les charges énergétiques pour atteindre le niveau actuel des pays voisins (Allemagne, France et Pays-Bas). Pour ce faire, le Secrétaire d’État propose par exemple de :

  • augmenter progressivement les accises sur le diesel, le mazout de chauffage ou le gaz naturel ;
  • adapter ou créer des taxes (éventuellement en fonction du contenu carbone) ou des cotisations sur l’énergie.

Clerfayt insiste sur le fait que rien que l’augmentation des accises sur les produits énergétiques ci-mentionnés serait à même de procurer 1,6 milliards d’euros de recettes[[Respectivement de 500, 580 et 522 millions d’euros pour le diesel, le mazout de chauffage et le gaz naturel domestique.]], soit 0.5 % du PIB. Conjointement, se basant sur les dernières études prospectives du Bureau fédéral du Plan, il prédit jusqu’à quelques 60.000 emplois créés.

En parallèle à ces hausse fiscales, il entend bien favoriser, grâce aux recettes générées, une réforme pour les bas et moyens revenus et ce par exemple au moyen de :

  • une hausse du revenu imposable ou une correction des tranches fiscales ;
  • un chèque forfaitaire (d’un montant de 100 euros environs) versé aux ménages du premier quartile de revenus et modulé en fonction de leur composition familiale.

Analyse des propositions

De manière générale, la refonte fiscale proposée par le Secrétaire d’Etat Clerfayt est intéressante et plus importante que la taxe carbone française au vu du pactole récolté (pour rappel, la taxe carbone devait initialement rapporté 8 milliards d’euros, montant qui devrait être raboté de moitié vu les récentes déclarations politiques dans le sens d’une taxe fixée à 14 euros la tonne au lieu des 32 euros initialement prévu par le rapport Rocard[[Rapport issus de la conférence des experts et de la table ronde sur la contribution Climat et Energie, présidée par Michel Rocard, ancien Premier Ministre français, qui s’est tenue les 2 et 3 juillet derniers.]]). On peut toutefois regretter que les mesures proposées ne se limitent qu’aux secteurs de la mobilité et du chauffage. En outre, elles ne donnent aucun signe sur l’utilisation des énergies fossiles dans les secteurs industriels primaire et secondaire, le tertiaire étant principalement touché au même titre que les ménages.

Accises à la hausse

Plus spécifiquement, la Fédération salue la volonté de porter les accises sur le diesel à la hausse, mesure attendue de longue date par les associations environnementales et par ailleurs très efficace (elle présente une grand potentiel en termes d’émissions de CO2[[- 6.8 % selon le Plan Kyoto-transport.]]). Aujourd’hui, les accises sur le diesel sont inférieures à celles sur l’essence par litre brûlé (près de 0.61 euro le litre contre 0.35 euro pour le diesel). Or, les données sont irréfutables : par litre brûlé, le diesel émet tout à la fois plus de polluants locaux (NOx, PM, HC, excepté le CO) et plus de CO2 que l’essence.

Pour ce qui est du mazout de chauffage et du gaz naturel domestique, la Fédération estime qu’il s’agit de produits énergétiques répondant à des besoins humains fondamentaux et qu’il convient dès lors d’en assurer un accès minimum à un coût socialement acceptable. Au-delà de cette base minimale, la tarification devra être progressive, au prorata des quantités consommées.

Adaptation et création de taxes

Sur ce volet, le Secrétaire d’État reste très évasif, parlant d’éventuellement les moduler en fonction du contenu carbone (référence faite à la taxe carbone française).

S’agissant des taxes existantes, la Fédération soutient l’idée de relier certaines d’entre elles aux performances environnementales du produit ou du service soumis à taxation. Ainsi, par exemple, en matière de mobilité, la taxe de mise en circulation devrait être rendue proportionnelle (relation linéaire) aux émissions de CO2 du véhicule et la taxe de circulation proportionnelle aux qualités environnementales du véhicule, en intégrant les émissions de CO2 et les émissions de polluants locaux (via l’Ecoscore par exemple).

Dans la même veine, de nouvelles taxes pourraient être créées, tenant compte de l’impact environnemental du bien ou service visé par la taxe. A noter cependant que l’outil fiscal ne peut et ne doit pas être le seul activé pour relever le défi climatique. Il importe qu’il soit intelligemment compléter par d’autres: réglementation, permis négociables…

Mesures de compensation

L’ambition du Secrétaire d’État est de «sauvegarder le pouvoir d’achat des bas et moyens revenus par les bénéfices induits». Ainsi les recettes issues de la fiscalité environnementale seraient utilisées pour porter à la baisse la pression fiscale pesant sur l’emploi (hausse du revenu imposable, correction des tranches fiscales) ou pour allouer des chèques forfaitaires aux ménages à bas revenus.

Sur ce point, la Fédération rappelle qu’il est primordial, en matière de fiscalité environnementale, de conserver un signal-prix clair aux yeux des acteurs économiques. Ainsi, des mesures de compensation[[«Les mesures compensatoires sont par définition applicables ex post et ne se rattachent par véritablement à la taxe puisqu’elles ne modifient ni le taux ni la structure de la taxe.» (OCDE, 2006, Les taxes liées à l’environnement dans les pays de l’OCDE)]] seront préférées aux mesures d’atténuation[[Les mesures d’atténuation constituent «une mesure ex ante destinée à réduire les taux des taxes liées à l’environnement et donc à alléger la pression fiscale sur des groupes spécifiques». (OCDE, 2006)]] puisqu’elles maintiennent tels quels le taux et la structure de la taxe.

La Fédération regrette par ailleurs que la réforme Clerfayt ne fasse allusion à aucune mesure d’accompagnement. Pourtant, il semble impératif d’aider la société, au premier chef les plus démunis, à s’adapter aux changements inéluctables de demain (hausse des prix énergétiques notamment). Des mesures d’accompagnement pourraient prendre la forme de guidances sociales énergétiques, de prêts à taux zéro ou à taux réduit pour encourager les investissements économiseurs d’énergie auprès des publics défavorisés ou encore l’amélioration qualitative et quantitative de l’offre de transports en commun.

60.000 emplois ?

Les prétentions, en matière de créations d’emplois méritent elles aussi qu’on y regarde de plus près. Clerfayt annonce un potentiel de 60.000 emplois. Mais, si l’on se réfère à l’analyse réalisée à ce sujet par l’économiste Philippe Defeyt[IDD (2009), [Taxes sur l’énergie et créations d’emplois.]], on remarque que ce chiffre est à relativiser.

Notons en vrac :

(1) Dans sa sortie, Clerfayt se réfère à une étude du Bureau du Plan[BASSELIERE, D., BOSSIER, F., BRACKE, I., LEBRUN, I., MASURE, L. et STOCKMAN, P. (2005), [Variantes de réduction des cotisations sociales et de modalités de financement alternatif, Planning Paper 97.]] datant de… 2005 !

(2) La création de 60.000 emplois – à un horizon temporel de 7 ans – est l’option la plus favorable qui ressort de l’étude du Bureau du Plan. Elle est basée sur l’hypothèse d’une baisse des cotisations sociales à concurrence de 0.5 % du PIB, baisse axée sur les bas revenus et sans compensation budgétaire, considérant les salaires fixes. Chemin faisant, le déficit budgétaire se voit aggraver d’environ 0.4 % du PIB.

(3) L’analyse du Bureau du Plan se réfère à l’année 2004 (avec une projection sur la période 2005-2010). Or, il y a eu plusieurs changements économiques et socio-économiques majeurs depuis lors qui devraient changer la donne.

(4) L’augmentation des accises simulée par le Bureau du Plan ne serai tpas à même de combler le déficit induit par la baisse des cotisations sociales patronales. Seuls 60 % du déficit devrait être couvert… sans compter l’impact qu’auraient sur le budget les chèques forfaitaires promis par Clerfayt pour compenser la hausse d’accises auprès des bas revenus.

Ainsi, Defeyt table, dans le meilleur des cas, sur une création de 40.000 emplois, à déficit budgétaire inchangé. Ce chiffre devrait toutefois être revu à la baisse si l’on considère les créations nettes d’emplois.