Gosselies : ingérence or not ingérence ?

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La séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) est un des fondements de notre démocratie. Les frontières entre les trois sont-elles toujours bien hermétiques ou peuvent-elles se révéler un peu poreuses ?

Par arrêt du 1er février 2005, la Cour d’Appel de Mons posait à la Cour d’arbitrage deux questions préjudicielles relatives au décret de la Région wallonne du 23 juin 1994 relatif à la création et à l’exploitation des aéroports et au décret du 1er avril 2004 modifiant celui précité. La deuxième question portait sur l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement du litige.

Petit retour en arrière. Le 1er avril 2004, le Parlement wallon votait en urgence (et sur proposition du Gouvernement wallon) un décret modifiant les heures d’ouvertures de l’aéroport de Charleroi. Ceci deux jours après que le tribunal civil de Charleroi ait décidé de soumettre à une astreinte de 10.000 euros chaque vol constaté entre 22 heures et 7 heures (période théorique de non activité). S’agissait-il d’un exemple flagrant d’ingérence, comme le soutiennent les riverains ? Cette ingérence se justifiait-elle en raison d’impérieux motifs d’intérêt général comme le soutiennent le Gouvernement wallon et BSCA (gestionnaire de l’aéroport) ? La réponse est figure dans dans l’arrêt n°25/2006 du 15 février 2006 de la Cour d’arbitrage (voir http://www.arbitrage.be/fr/common/home.html) qui a dit pour droit que « le décret du 1er avril 2004 […] ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec les articles 6.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme ». La Cour estime donc qu’il n’y a pas eu ingérence.

Serait-on en présence d’un phénomène « poupées russes » ? Les parties (riverains, Gouvernement wallon et BSCA) ont été entendues par la Cour d’arbitrage lors de l’audience publique du 11 janvier 2006. Ce jour-là, les propos de l’avocate représentant le Gouvernement wallon en ont choqué plus d’un et ont posé une nouvelle fois la question de… l’ingérence !. De quoi s’agissait-il ? Comme mentionné dans l’arrêt du 15 février 2006, les propos portaient sur « l’intention manifestée par le Gouvernement wallon de faire voter un nouveau décret ». Pourquoi donc l’avocate mentionnait-elle cette intention ? Parce que ce « décret retirerait tout effet utile à Votre arrêt » commentaient, offusqués, trois riverains dans un courrier envoyé à la Cour d’arbitrage le 17 janvier 2006que vous trouverez en pièce-jointe. Ceux-ci – on le serait à moins – on été stupéfaits d’entendre le Conseil du Gouvernement inviter la Cour à ne pas se fatiguer à vider son délibéré avant le vote de ce Décret de validation législative, évidente et avouée.

Dans ce dossier, il est évident que le pouvoir exécutif tient fermement les rênes et manifeste clairement sa volonté de les conserver. A cet égard, nous vous invitons à relire notre petit billet d’humeur publié dans notre défunte revue mensuelle suite au vote du décret du premier avril 2004.

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Extrait du mensuel IEW n°10 – avril 2004

Trois pouvoirs, est-ce bien nécessaire ?

Quand j’étais petite (et prompte à m’émouvoir), l’instituteur nous expliqua un jour le fonctionnement de notre démocratie. Ca m’en a bouché un coin ! Tout ça était drôlement bien pensé. Le Parlement qui fait les lois. Le Gouvernement qui les applique. La Justice qui les fait respecter. Chacun à sa place, dans sa petite case, sans tricher sur le voisin. Le système était garant de notre démocratie. C’était beau. Trop beau, peut-être…

Tout cela, à la réflexion, était aussi bien compliqué. Trop compliqué, peut-être… Supposons – comme ça, juste pour rire – supposons, donc, que le Gouvernement (le pouvoir exécutif, pour les intimes), pas chicanier, ait intérêt à ce qu’une loi ne soit pas tout à fait respectée à la lettre. Et qu’il ferme pudiquement les yeux sur certaines pratiques. Ou bien qu’il les nie, les minimise, enfin, bon, vous savez comment ça va. Supposons toujours qu’un tribunal (le pouvoir judiciaire, donc) s’émeuve de la situation. Et condamne les contrevenants à payer une amende.

Illustrons par un exemple. Le Gouvernement, pour montrer qu’il pense au citoyen, a mis plein de sous dans un aéroport. La seule compagnie qui opère sur cet aéroport fait atterrir et décoller ses avions la nuit (quand c’est normalement interdit). Le Gouvernement sifflote d’un air dégagé. Puis un juge un peu trop zélé sanctionne les infractions. La situation est plutôt gênante, bien sûr. Vous imaginez, vous, un membre du Gouvernement, un Ministre, donc, avec tout ce que cela suppose de respectabilité et tout ça, devoir expliquer à son partenaire qu’on va le traiter comme un vulgaire voleur de pommes ?

Heureusement, chez ces gens-là, monsieur, on pense. Et l’on trouve ! La solution toute simple :on supprime un pouvoir. Ou plus exactement, on hiérarchise. Le législatif (le Parlement) n’a qu’à modifier la loi, directement sous la dictée de l’exécutif. C’est plus commode, finalement. Comme ça, les lois colleront enfin à la réalité. Cette formalité accomplie, il n’y a plus d’infraction, il n’y a plus d’amende. Le Ministre est content. Son partenaire volant aussi. Le Parlement, pas très fier, s’assoupit pour se faire oublier. La Justice se demande à quoi elle sert encore. Là, c’est moi qui ai la solution : elle n’a qu’à s’occuper des voleurs de pommes. Les vrais dangereux en culottes courtes.

La punaise