30 associations belges attirent l’attention des ministres de l’environnement sur les risques des agrocarburants

La Commission européenne a présenté en janvier les contours précis de l’« energy package » décidé l’an dernier par le Conseil européen. Objectifs principaux : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30% en 2020 par rapport à 1990 (20% si la communauté internationale n’aboutit pas à un accord) et porter la part des sources d’énergies renouvelables à 20% pour la même date.

Pour atteindre l’objectif de 20% de sources d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie, les Etats membres seront contraints d’atteindre 10% de renouvelables dans les transports. Cet objectif ne pourra être atteint qu’en recourant massivement aux agrocarburants. C’est la seule contrainte sectorielle imposée par les instances européennes. Bien que cet objectif de 10% d’agrocarburants ait été assorti par le Conseil européen de mars 2007 de certaines conditions quant à la durabilité de la production, la plupart des organisations de la société civile estiment que la proposition faite par la Commission ce 23 janvier ne permet pas de garantir que ces conditions seront satisfaites, ce qui à leurs yeux remet en cause le caractère contraignant de l’objectif.

C’est la raison pour laquelle trente associations belges ont adressé un courrier aux ministres de l’environnement et de l’énergie, afin d’attirer leur attention sur les risques liés à la proposition actuelle de la Commission européenne. Elles insistent en particulier sur les conséquences sociales et environnementales d’une telle décision.

Vous pouvez consulter cette lettre ci-dessous ou la télécharger ci-contre

courrier Ministre Magnette



Monsieur le Ministre
,

Par la présente, nous tenons à vous faire part de nos préoccupations quant aux propositions de la Commission européenne relatives à la régulation et à l’utilisation des agrocarburants dans la directive sur la promotion de l’utilisation des sources d’énergies renouvelables.

En mars 2007, le Conseil européen avait accepté qu’à l’horizon 2020, 10% d’agrocarburants soient incorporés dans les carburants conventionnels destinés au secteur des transports. Le Conseil avait toutefois lié cet objectif à des conditions strictes telles que la durabilité de la production, la mise sur le marché d’agrocarburants de seconde génération et des amendements sur la directive qualité des carburants permettant le mélange avec les carburants classiques.

Aujourd’hui, les organisations flamandes et francophones, signataires de cette lettre, sont convaincues que l’actuelle proposition ne garantit pas la durabilité de la production et ne répond donc pas aux conditions posées par le Conseil de Printemps 2007. Cette situation remet profondément en cause l’opportunité du caractère contraignant de cet objectif.

Nos préoccupations concernent en particulier les points suivants :

Priorité aux économies d’énergie et à la diminution de la demande énergétique.

Nous tenons tout d’abord à insister sur le fait que toute politique énergétique en général, et en matière de transports en particulier, doit accorder la priorité à la réduction de la consommation et l’amélioration de l’efficacité énergétique de tous secteurs concernés : production d’électricité, de chaleur (à usage industriel et domestique), transport de biens et de personnes. Les mesures visant la substitution des énergies fossiles par les énergies renouvelables – et en particulier le recours aux agrocarburants – ne permettront d’enrayer le réchauffement global que dans un contexte de réduction globale de la demande.

Impacts indirects majeurs

La production d’agrocarburants à grande échelle peut induire de nombreux effets indirects préjudiciables pour les populations les plus pauvres tels que l’augmentation des prix des produits alimentaires, la diminution des réserves en eau ou encore le déplacement des activités agricoles vers des écosystèmes plus fragiles comme les forêts pluviales et les savanes. Bien que ces effets soient déjà perceptibles, le texte actuel ne prévoit aucune mesure pour les prévenir, et suggère uniquement aux états membres d’effectuer un suivi bisannuel. Il est indispensable que cette problématique soit prise en compte avant d’imposer des objectifs chiffrés d’utilisation d’agrocarburants.

Absence de normes sociales

Le texte actuel ne prévoit aucun critère social, en particulier dans les pays en développement, pour protéger les populations des effets sociaux négatifs liés à la production des agrocarburants. La course à l’approvisionnement du marché Européen en agrocarburants induit déjà de nombreux conflits fonciers, des expropriations forcées, des violations des droits de l’homme, une augmentation de la pauvreté et la détérioration des conditions de travail dans de nombreux pays en développement. L’Union Européenne doit garantir le respect des droits de l’homme et du droit à l’alimentation, des conditions de travail décentes et des politiques et pratiques agricoles / commerciales équitables et transparentes qui ne portent en aucun cas préjudice aux petits producteurs et aux populations locales.

Sous-estimation des émissions de gaz à effet de serre (GES)

Le texte propose un mode de calcul simpliste quant aux émissions de gaz à effet de serre, mode qui surestime les réductions d’émissions induites par les agrocarburants. Par ailleurs, la version actuelle prévoit un seuil minimal de réduction de ces émissions de 35%. Un minimum de 50% (seuil devant être progressivement revu à la hausse) semble pourtant indispensable pour s’assurer que les agrocarburants contribuent réellement et efficacement à la lutte contre le réchauffement global. La directive doit à ce niveau prévoir un mode de calcul des émissions de gaz à effet de serre qui soit universel, précis et transparent. Il conviendra alors d’exclure le recours aux filières d’agrocarburants qui ne contribuent pas efficacement à une réduction des émissions GES.

Des critères indispensables pour l’ensemble des filières d’utilisation de la biomasse

La définition des critères de durabilité faisant aujourd’hui l’objet de discussion pour l’utilisation de la biomasse à des fins énergétiques nous apparaît également nécessaires pour les autres filières de la biomasse (utilisation à des fins alimentaires, comme matériau, etc.). Dans le cas contraire, les effets de substitution (utilisation des cultures actuellement alimentaires pour les valoriser énergétiquement et affectation de nouvelles surfaces à des cultures alimentaires non certifiées) annihileront les effets du système de certification actuellement envisagé.

Limitation imposée aux états membres d’adopter des critères nationaux plus contraignants que ceux de l’UE

Les Etats membres ne peuvent appliquer des critères plus contraignants que ceux de l’UE. Et d’autres cadres législatifs nationaux ou internationaux pourront être acceptés s’ils répondent partiellement aux critères de la directive. Compte tenu de la faiblesse et de l’inefficacité des critères actuels pour garantir la durabilité de la production d’agrocarburants, cette possibilité doit au contraire être encouragée dans chaque Etat membre.

Pour conclure

Ne nous méprenons pas : nous tenons à insister sur notre soutien total à l’objectif européen de porter à 20% la part des sources d’énergie renouvelables dans l’approvisionnement énergétique de l’UE. Nos préoccupations portent uniquement sur les conséquences d’un recours accru aux agrocarburants. Considérant le fait qu’il est plus efficace d’utiliser la biomasse à des fins énergétiques dans les unités de production centralisées (cogénération de qualité, production d’électricité), promouvoir l’utilisation de la biomasse dans les carburants liquides pour le secteur des transports hypothèquerait en réalité la possibilité d’atteindre de la manière la plus efficiente possible l’objectif de 20% d’énergies renouvelables.

En résumé, nous considérons que l’approche actuelle du projet de directive ne garantit en rien que les agrocarburants seront produits durablement, et donc que les conditions émises par le Conseil européen seront rencontrées. Nous vous invitons donc à plaider auprès des instances européennes pour que la proposition actuelle soit substantiellement améliorée afin de tenir compte des éléments ci-dessus. Si des garde-fous suffisants ne peuvent être mis en place pour éviter que la production d’agrocarburants n’induisent d’effets sociaux et environnementaux néfastes, nous considérons qu’il y a lieu de suspendre le caractère contraignant de l’objectif de 10%.

Nous désirons enfin insister sur le fait qu’il est nécessaire d’encadrer la production et l’importation de toutes les productions végétales. Les critères actuellement envisagés ne concernent en effet que les cultures énergétiques destinées au secteur des transports, et ne s’appliquent pas aux mêmes cultures qui seraient destinées à d’autres utilisations telles que la production d’électricité et/ou de chaleur par exemple. Les garde-fous devraient pourtant être identiques puisque les impacts sociaux ou environnementaux ne diffèrent pas.

Nous demandons à la Belgique de plaider auprès des instances européennes, en particulier lors du prochain Conseil « Environnement », pour que toutes les garanties soient apportées quant au caractère durable des agrocarburants destinés à atteindre les objectifs fixés en mars 2007.

Nous demandons par ailleurs à nos responsables politiques de veiller à la cohérence entre les politiques concernées. Tant de la cadre de la coopération au développement et que des politiques commerciales, il est indispensable de s’assurer de la durabilité des agrocarburants.

Nous demandons enfin que la même attention soit accordée dans le cadre accords commerciaux internationaux, régionaux ou bilatéraux. Ces accords commerciaux ne peuvent en aucune manière favoriser l’extension dans le Sud de grandes plantations de cultures énergétiques exploitées de manière non durable. Nous estimons enfin essentiel d’éviter à tout prix que le commerce des agrocarburants devienne préjudiciable aux paysans familiaux, aux peuples indigènes et aux travailleurs des pays en voie de développement.

Co-signent cette lettre les organisations suivantes, membres des plateformes de développement durable Associations21 asbl ou VODO vzw :

 11.11.11

 APERe (Association pour la promotion des sources d’énergie renouvelables)

 ASTRAC (Réseau des Centres Culturels de la Communauté Wallonie-Bruxelles asbl)

 Bond Beter Leefmilieu

 Broederlijk Delen

 Centre Culturel du Beau Canton/Centre de Développement Durable

 CRIOC (Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs)

 Ecolife

 FIAN-Belgium

 GRACQ-Les Cyclistes au Quotidien

 Greenpeace

 Institut pour un Développement Durable

 Inter-Environnement Bruxelles

 Inter-Environnement Wallonie

 Jeugdbond voor Natuur en Milieustudie

 KWIA

 Le Monde selon les Femmes

 Mouvement Luttes-Solidarités-travail

 Natagora

 Natuurpunt

 Netwerk Bewust Verbruiken

 Oxfam solidarité-solidariteit

 Oxfam Wereldwinkels

 Planète Vie

 Vlaams Agrarisch Centrum

 VELT (Vereniging voor Ecologische Leef- een Teeltwijzen)

 VBV (Vereniging voor Bos in Vlaanderen)

 VODO (Vlaams Overleg Duurzame Ontwikkeling)

 Vrede vzw

 Wervel

Canopea