Transport en commun : supprimer les véhicules « vides »… ou les remplir ?

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Mobilité
  • Temps de lecture :13 min de lecture

De manière récurrente, le faible taux d’occupation des véhicules de transport en commun est invoqué pour justifier une « rationalisation » (allant souvent dans le sens d’une suppression de liaisons ou de services) de leur exploitation. Tantôt au nom d’une diminution des coûts sociétaux induits par la sous-occupation des bus et des trains, tantôt au nom de la diminution de la pression environnementale. Début janvier 2009, une nouvelle offensive a été menée contre les services de transport en commun : une carte blanche et des entretiens parus dans les quotidiens francophones appelaient à revoir l’offre, pour en réduire la « facture environnementale ». Dans le collimateur : heures creuses et petites lignes. Afin de bien appréhender le « problème » (et même, plus fondamentalement, afin de déterminer si problème il y a), il convient de le replacer dans le cadre d’une politique de mobilité durable, intégrant notamment les aspects énergétiques et la protection de l’environnement.

Energie : l’efficacité en commun

Avec 1% de la consommation énergétique du secteur des transports[Atlas énergétique de la Wallonie, consultable sur [www.icedd.be ]] (pour le trafic voyageurs), le train assure 5% des parts modales en voyageurs.km en Région wallonne[Rapport analytique sur l’état de l’environnement wallon 2006-2007, consultable sur [www.environnement.wallonie.be/eew ]]. Ces deux petits chiffres mettent en évidence deux faits de grande importance. Premièrement, le potentiel d’économie d’énergie est bien plus élevé dans le transport routier – c’est donc sur celui-ci qu’il convient d’agir en priorité. Deuxièmement, la part modale du train est bien plus élevée que sa « part énergétique ». Ceci est également vrai, quoique dans une moindre mesure, pour le transport en commun par route[[Les calculs illustratifs ne sont pas reproduits ici, car établis sur base de chiffres non officiels]] . En d’autres mots, le transport en commun présente globalement une bien meilleure efficacité énergétique que la voiture.

Transports durables

Une politique de mobilité ne peut ignorer que le transport est, dans bien des cas, une fonction induite, qu’il est déterminé (et détermine en retour) une organisation sociale (aménagement du territoire, habitudes de consommation, aspects culturels, …). De même, elle ne peut et ne doit pas adopter une démarche monomodale. S’il est légitime de s’interroger sur le taux de remplissage des bus et des trains, il est indispensable de comparer leurs performances à celles des autres modes de transport. Par ailleurs, toutes les incidences (environnementales, sociales et économiques) doivent être analysées afin de pouvoir, au-delà des simplismes, déterminer les politiques de demain.

Eviter de comparer des pommes et des poires

Les chiffres généralement avancés pour illustrer la sous-occupation des bus et des trains se fondent, dans le meilleur des cas, sur des taux de fréquentation moyens – dans le pire des cas, ce ne sont que des extrapolations basées sur des situations de sous-occupation en heures creuses. Les voitures, quant à elles, sont implicitement – voire explicitement – sensées être remplies à 100%, ou du moins le devenir aisément. Rares sont les pourfendeurs du transport en commun à s’offusquer du taux d’occupation des véhicules privés : 1,4 personne par voiture en moyenne, soit un taux d’occupation de 28% (pour cinq places). Ce chiffre, et c’est important, ne cesse de baisser[Voir les statistiques de la fédération belge de l’industrie automobile et du cycle : [www.febiac.be ]] – alors qu’il est croissance soutenue au niveau des sociétés de transport en commun.

Selon les chiffres parus dans la presse début janvier 2009, sur 3.500 trains circulant en Belgique chaque jour, 1200 (soit un tiers) ne sont occupés qu’à un cinquième de leur capacité. Combien de voitures sont-elles dans le cas (c’est-à-dire ne transportent que le conducteur) ? Si le remplissage au cinquième des capacités était adopté comme critère pour déclarer un véhicule comme étant « vide », combien de voitures ne devraient-elles pas être rangées dans cette catégorie ?

Environnement : la palme au train

L’approche la plus communément admise parmi les professionnels du secteur pour apprécier la performance environnementale des transports est celle consistant à ramener les émissions polluantes aux « voyageurs.kilomètres » réellement transportés.
Las ! Pour les véhicules automobiles, le calcul est moins simple qu’il n’y paraît. Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) des voitures sont, en moyenne, d’environ 220 g/km pour le parc automobile belge. Il s’agit là d’une valeur minimale fondée sur les chiffres « constructeurs », établis sur les cycles de test officiels. Mais la conduite d’un véhicule au quotidien n’a pas pour but d’en démontrer la faible consommation… De plus, divers accessoires (tels que l’air conditionné) génèrent une consommation – et une pollution subséquente – additionnelles. Il convient dès lors, pour estimer les émissions en conditions réelles, de majorer les chiffres « constructeurs » de 10 à 20%[Voir par exemple les tests effectués par l’ [ADAC en Allemagne]] . A contrario, les chiffres de consommation des trains et bus établis par les sociétés de transport en commun sont des chiffres « réels », basés sur les consommations effectives, résultant d’un calcul simple : la consommation énergétique totale divisée par le nombre de personnes.kilomètres réellement transportés. Pour la SNCB, il s’agit de 31 g/km. Pour les TEC, environ 80 g/km. Pour une voiture moyenne, c’est 156 g/km (220 divisé par le taux d’occupation moyen de 1,4 personne par véhicule) en prenant les chiffres constructeurs, 190 g/km en majorant de 20% pour tenir compte des conditions réelles. Voilà qui est fort éloigné des conclusions « anti train » auxquelles on peut arriver en comparant les émissions des véhicules sans prendre en compte le nombre de personnes effectivement transportées.

L’environnement : au-delà des simplismes

De même que les trains et les bus ne tombent pas du ciel, les voitures ne poussent pas dans les show-rooms. Les émissions associées à l’utilisation constituent certes un indicateur important. Mais une véritable analyse des incidences environnementales doit intégrer le cycle de vie complet des véhicules. Ainsi, dans le cas d’une voiture, les phases de construction et de fin de vie génèrent une pollution équivalente à celle associée à 30.000 à 40.000 km roulés environ[[Environmental Improvment of Passanger Cars, Joint Research Center, European Commission, 2008]] . Et elles ont une importance relative bien plus grande que pour les bus que les trains, dont la longévité est nettement supérieure (jusqu’à 20 ans pour un bus, 40 pour un train).

Les contraintes de l’exploitation
Est-il aisé – ou, plus fondamentalement, faisable – de supprimer un train qui circule à vide en « heures creuses » ou de réduire sa composition ? Il est utile de s’en référer à ce que dit le comité consultatif des usagers auprès de la SNCB (CCU) sur ce sujet dans son avis 08/06 du 29/04/2008[Téléchargeable sur [www.mobilit.fgov.be]] : « Pour des raisons d’ordre technique et pratique il n’est pas toujours possible de diminuer la composition de certains de ces trains : par manque d’espace dans une des gares terminales ; quand cette gare ne dispose pas de tracteur de man½uvre pour garer les voitures décrochées ; par manque de temps, lorsque l’horaire ne permet pas un découplage des voitures endéans les délais ; pour des motifs d’exploitation, lorsque le matériel est nécessité pour effectuer un autre service ; pour des raisons d’ordre technique, quand il n’est pas possible de décrocher des voitures (surtout les automotrices triples et quadruples) ou quand le convoi forme une unité homogène ». Et tout simplement parce que le train doit, tout comme la voiture, rentrer au bercail en fin de journée.
Certains aimeraient néanmoins voir supprimer les trains de soirée, dont nombre circulent effectivement en sous-capacité. Il faut être conscient que cela supprimerait également la clientèle du trajet « aller ». Et que cela reporterait le problème, nombre d’usagers empruntant l’avant-dernier train par peur de manquer le dernier.

Accepter l’effet comme inéluctable ou identifier la cause et y porter remède ?
Regarder passer les trains et observer qu’ils sont « vides » est une chose, déterminer les causes de cette sous-occupation en est une autre, plus nécessaire pour déterminer les axes d’une politique de mobilité durable.
Selon le CCU, « Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la gare d’embranchement – bien souvent un centre urbain de certaine importance – et que de nombreux voyageurs débarquent dans les gares intermédiaires, le train se vide et la sous-occupation devient quasi inévitable sur les lignes en cul-de-sac, surtout lorsque l’on atteint la gare terminus. Conséquence perverse : plus d’une fois, la desserte de ce type de lignes pourtant bien utiles est remis en question, surtout lorsqu’il s’agit, une fois de plus, de trouver des services à supprimer ! Dans le passé, plusieurs d’entre elles ont déjà été menacées, comme les extrémités des lignes Charleroi-Couvin et Kortrijk-Poperinge. C’est d’ailleurs ainsi que la ligne Herentals-Turnhout, aujourd’hui très fréquentée, fut même complètement abolie de 1959 à 1970 ! »

Par ailleurs, « La sous-occupation caractérise une série de services régionaux qui malgré leur statut de « train L » ne desservent qu’à peine quelques gares intermédiaires, et de ce fait ne parviennent pas à récolter une clientèle suffisante, comme c’est le cas entre Libramont et Arlon (ligne 162) et entre Zottegem et Kortrijk (ligne 89). En effet, sur ces lignes, de nombreuses gares ont été rayées de la carte en 1984, provoquant la chute du nombre de voyageurs sur ces services. Plutôt que de laisser les choses ce qu’elles sont, en attendant d’élaguer ces services « par manque de clientèle », la SNCB ne doit-elle pas avant tout examiner de quelle manière elle peut augmenter la clientèle : – réouverture de certains arrêts soigneusement localisés – correspondances étudiées dans les gares de transbordement – meilleure coordination train-train et train-bus ».

Les trajets courts ont la cote

Entre 2000 et 2007, le nombre de voyageurs transportés par la SNCB est passé de 139,9 à 206,5 millions de voyageurs, soit une augmentation de 48%. Sur la même période, le nombre de voyageurs.km n’a augmenté « que » de 28%, passant de 7,732 à 9,932 milliards de voyageurs.km. La distance moyenne parcourue est donc passée de 55,2 à 48,1 km , soit une diminution de 13% sur sept ans. Ainsi, le train tend à être utilisé pour de plus petites distances. Ce qui prouve que les petites lignes et petites gares sont bien utiles – et le deviennent de plus en plus, réduisant d’autant la « sous-utilisation » observée sur certaines liaisons.
En la matière, on ne saurait donc trop recommander d’accompagner les évolutions plutôt que de les contrer.

Densifier, c’est aussi remplir

Les politiques d’aménagement du territoire peuvent bien évidemment contribuer à l’amélioration du taux d’occupation : les performances du transport en commun sont supérieures si certaines conditions sont remplies. Ainsi, la coexistence des fonctions d’habitat, de production, de consommation, de culture, … dans un centre urbain (ce que l’on appelle la « mixité fonctionnelle ») génère-t-elle à la fois une réduction des transports et des flux réguliers compatibles avec un réseau de transport en commun irrigant le territoire concerné. La situation est optimale lorsque cette mixité fonctionnelle est associée à une structure polycentrique, dans laquelle on retrouve plusieurs pôles de mixité dans le centre urbain. L’antithèse de cette organisation spatiale se retrouve dans « l’éclatement » associé aux centres d’activités économiques et aux périphéries résidentielles. Dans ce dernier cas, les mouvements de personnes sont de type pendulaires (des zones d’habitat vers les pôle d’activités le matin et inversement le soir). En cas de mixité fonctionnelle et de structure polycentrique, ces flux pendulaires sont remplacés par des flux bi – voire multidirectionnels, garantissant un remplissage optimal tout au long de la journée. Ainsi, la STIB a-t-elle, en 2007, transporté 277,3 millions de voyageurs pour 38,1 millions de km roulés (7,3 voyageurs pour un kilomètre), tandis que les TEC en transportaient 225,1 pour 115,5 millions de km roulés (1,9 voyageur pour un kilomètre) [INS, portail mobilité : [www.statbel.fgov.be/port/mob_fr.asp]] .

Améliorer l’offre pour augmenter la demande

Le constat est évident : de nombreux bus et trains sont effectivement sous-occupés. Faut-il, sur cette base, entrer dans une logique de décroissance de l’offre ? Le risque serait fort grand de reproduire (CCU, avis 08/02 du 04/02/2008) : « la grande opération d’élagage de 1984, avec la fermeture de 234 gares en une fois et les conséquences sur le plan de la mobilité, lorsque des milliers de voyageurs sont passés avec armes et bagages à la voiture : non pas pour se rendre à la gare suivante, mais bien pour rallier directement leur destination dans et autour des villes ».

Pour la fédération Inter-Environnement Wallonie, il convient, au contraire, de tout mettre en ½uvre afin d’accompagner les évolutions en cours et d’augmenter la fréquentation des services de transport en commun, ce qui implique notamment de « tirer » la demande par un accroissement de l’offre – et une promotion correcte de celle-ci. C’est également l’analyse développée par le Service public fédéral Mobilité et transports qui, dans son plan Kyoto-Transports (voir l’analyse d’IEW[[www.iewonline.be/spip.php?article2874]] ), propose deux groupes de mesures (services et infrastructures) visant à améliorer l’offre et permettre, dès lors, d’augmenter le taux d’occupation, y compris aux heures dites « creuses ».